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Le désarroi identitaire

 

Le désarroi identitaire décrit les grandes espérances et les illusions perdues de sociétés en quête de sens, marquées par leur jeunesse, leur nombre et leur désordre. En proposant une analyse sociologique du déracinement mental et de l’anxiété métaphysique qui accompagnent la migration et l’urbanisation de masse mais aussi une réflexion philosophique sur l’islam en tant que matrice historique et idéal de culture, cet essai produit une observation acquise au cours de vingt années de voyages, d’études et de rencontres avec une multitude d’acteurs sociopolitiques.

Alors que l’univers de l’information et de la communication réduit le plus souvent l’islam et le monde arabe à des lieux communs, bruyants, spectaculaires, qui parasitent et appauvrissent la relation entre observateurs et observés, ce livre invite le lecteur à cheminer dans une réalité complexe, dans ses bas-fonds, son passé, son quotidien pour tenter d’accéder à ses hautes vues, ses signes et leur symbolique et ainsi restituer, par touches multiples et de manière impressionniste, l’islamité et l’arabité contemporaines, noyaux « durs » d’une civilisation englobant plusieurs cultures-gigognes. Par des traversées rapides qui sont autant de coupes socioculturelles dans la géologie de sociétés instablement sédentarisées, l’auteur nous transporte dans les faubourgs de Casablanca et d’Alger, traverse le détroit de Gibraltar avec les flux d’immigrés clandestins, remonte le temps en parcourant l’itinéraire à la fois guerrier et mystique de l’Emir Abdelkader et de ses disciples déportés au Pacifique, et plus en amont retrouve l’un des fondateurs de la sociologie, Ibn Khaldoun, le Maghrébin du XIVe siècle, dont la théorie de l’histoire éclaire encore et toujours, selon l’auteur, le devenir de sociétés aux substrats bédouins et berbères qui poursuivent des deux côtés de la Méditerranée une urbanisation en périphérie précaire et sous-intégrée.

S’il s’insurge contre la « sur politisation » dont est victime l’islam contemporain tant du point de vue de sa perception que de sa représentation, ce livre plaide pour une approche poétique seule à même de révéler une esthétique à la mesure de sa spiritualité et de sa civilisation. Mais, dans le même temps, cet essai n’évacue aucunement la question du politique et s’attelle par exemple à une analyse au scalpel de l’islamisme dont il évalue la cohérence sur le terrain, son intelligence pragmatique, sa contribution dans l’accès du plus grand nombre à la citoyenneté en même temps que ses handicaps et autres limites idéologiques dès lors qu’il s’agit de penser l’islam, d’élaborer un projet de société, une vision du monde, le rapport de Soi aux Autres.

 

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Construit comme un dédale de médina, ce livre préfacé par l’essayiste et poète libanais Salah Stétié s’articule autour de motifs en entrelacs, récursifs, émergeants, et s’inspire d’une géométrie de mosaïques et des abstractions d’arabesques et de calligraphie arabe. Ainsi l’architecture du livre se déploie, à travers plusieurs formes narratives, comme une arborescence buissonnante, désordonnée à l’épaisseur feuilletée comme la réalité qu’elle décrit mais où, de façon subtile et précise, tout se tient. Dans un constant va-et-vient entre analyse et récit, entre pistes théoriques et histoires de vies, qui alterne et/ou confronte la coupe géopolitique, la description historique au vécu sociologique, cette sorte d’observation participante – dont l’auteur assume pleinement la subjectivité – cherche à rendre plus proches et familiers les idées évoquées, les faits relatés et les personnages rencontrés. L’auteur a pris résolument le parti de décrire de l’intérieur les tiraillements, les vibrations et les attentes d’une jeunesse aimantée – parfois même désorientée – par ses appartenances culturelles. Le désarroi identitaire est un constat critique et lucide sur le mal-être arabe mais aussi un signal d’espoir sur les potentialités, la richesse humaine du troisième monothéisme.

 

Le désarroi identitaire Jeunesse, islamité et arabité contemporaines de Réda Benkirane. Préface de Salah Stétié.
Paris, Editions du Cerf, collection « L’histoire à vif », 352 pages.

 

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