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Le dernier Sommet Islamique et les droits de l’homme

Le dernier Sommet islamique, qui était en effet le troisième Sommet exceptionnel (1), s’est réuni à la Mecque (Arabie saoudite) les 7 et 8 décembre 2005. Il s’est achevé par l’adoption de plusieurs déclarations et documents officiels (2).

Quelques sujets sensibles ont été abordés par les dirigeants et les représentants des 57 Etats islamiques comme : les droits de l’homme et la bonne gouvernance, les droits de la femme, les droits de l’enfant, la lutte contre le terrorisme, la lutte contre l’islamophobie, la lutte contre la pauvreté en Afrique, l’Académie islamique du Fiqh, etc.

Nous avons choisi d’attirer l’attention dans cet article sur un sujet vital et d’actualité abordé par ce Sommet : la question des droits de l’homme.

Il faut rappeler que la Charte de l’Organisation de la Conférence islamique (O.C.I) (3) n’a pas négligé cette question car elle attache de l’importance à la promotion et à la protection des droits de l’homme. Ainsi, le préambule de cette Charte mentionne des principes de liberté, d’égalité et de justice. Trois articles de celle-ci traitent également des droits de l’homme, ce sont les articles : II, IV et V (4).

D’autre part, la Conférence des ministères des Affaires étrangères de l’O.C.I. a adopté deux déclarations des droits de l’homme : la Déclaration de Decca sur les droits de l’homme en Islam de 1983, et la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam de 1990 (5).

Les critiques adressées à ces deux déclarations, surtout à la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam (6), ont mis les spécialistes, les experts et les militants des droits de l’homme dans le monde arabo-musulman, dans un état d’attente et d’observation dans l’espoir qu’une réunion d’un organe de l’O.C.I ou un Sommet de celle-ci aurait apport quelques modifications ou apporter des améliorations soit au niveau des structures de l’Organisation car il n’a y aucun organe qui traite directement avec la question des droits de l’homme au sein de l’O.C.I, soit au niveau de la Déclaration du Caire qui est en régression par rapport à d’autres déclarations islamiques (7) et d’autres déclarations internationales comme la Déclaration universelle des droits de l’homme (8).

Trois documents du dernier Sommet ont abordé directement la question des droits de l’homme. Nous retrouvons premièrement « Le programme d’action décennal pour faire face aux défis auxquels la Oummah islamique se trouve confrontée au 21eme siècle ». Il y a deuxièment la « Recommandation de la commission de l’O.C.I. des éminentes personnalités », et troisièmement le rapport du Secrétaire générale de l’O.C.I. intitulé : « Une nouvelle vision pour le Monde musulman : la solidarité dans l’action ».

Nous allons examiner les dispositions de ces documents à travers les points suivants : les droits de la femme (I), Les droits de l’enfant (II), la création d’un organe des droits de l’homme (III), l’adoption d’une Charte des droits de l’homme (IV), le respect des droits de l’homme (V), et les droits politiques et humains des minorités musulmanes (VI).

I. Les droits de la femme

Nous voulons attirer l’attention en premier lieu sur la « Recommandation de la commission de l’O.C.I. des éminentes personnalités » qui affirme que « Les femmes musulmanes ont des droits égaux avec les mâles,… ».

Cette affirmation de l’égalité en droit entre les hommes et les femmes est très significative au moment où quelques documents de l’O.C.I. ne parlent de l’égalité entre les homme et les femmes que en dignité comme par exemple la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam de 1990 !

Les femmes ne sont pas seulement les égales des hommes en droits mais elles ont le droit de « quérir le savoir » et d’avoir une chance égale pour jouer leur rôle dans la société musulmane « conformément aux valeurs islamiques d’égalité et de justice » mentionnés plus loin dans cette recommandation.

D’autre part, plusieurs points dans « Le programme d’action décennal pour faire face aux défis auxquels la Oummah islamique se trouve confrontée au 21eme siècle » mérite d’être soulevés :

  1. .L’accélération de l’élaboration de « la Convention sur les droits de la femme en Islam » conformément à la résolution 60/27-P. L’élaboration et l’entrée en application de cette Convention sera une étape très importante dans le Monde musulman. Une telle Convention permettra, sans doute, d’affirmer et d’améliorer les droits des femmes dans les Etats membres de l’O.C.I. Mais, il y a là une confusion quand le programme précise que cette élaboration doit être conforme à la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam car cette Déclaration ne parle que de l‘égalité entre les hommes et les femmes en dignité pas en droits !
  1. L’invitation lancée aux Etats membres de l’O.C.I. de ratifier la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre la femme en son protocole additionnel. Cette invitation est très importante car elle montre une reconnaissance de la part de l’O.C.I et ses membres des normes adoptés par cette Convention et la nécessité d’intégrer ces normes dans les lois internes de ces Etats.
  1. Le renforcement des législations nationales des Etats membres de l’O.C.I pour promouvoir le progrès des femmes dans les domaines économique et social par l’éducation et l’alphabétisation, et dans le domaine politique. Et, ce dernier domaine est très important car il permet à la femme de participer à la vie politique de son pays et d’accéder aux fonctions importantes, d’une part, et montre, d’autre part, comme l’a souligné ce programme, que l’Islam « en tant que religion garantissant le respect de tous les droits des femmes et encourageant leur participation à tous les domaines de l’existence ».
II. Les droits de l’enfant

Le programme d’action décennal encourage « les Etats islamiques à signer et à ratifier la convention de l’O.C.I. sur les droits de l’enfant en Islam » mais cette convention n’existe pas à notre connaissance. Les rédacteurs de ce programme ont sûrement confondu (9) cette convention avec la Déclaration sur les droits et la protection de l’enfant dans le monde islamique adoptée par l’O.C.I. en 1994 (10) !

D’autre part, ce programme invite les Etats membres de l’O.C.I. à ratifier la Convention internationale sur les droits de l’enfant et ses deux protocoles additionnels.

III. Un Organe des droits de l’homme

Le programme demande à la Conférence islamique des ministres des Affaires étrangères de l’O.C.I. d’envisager « la possibilité de mettre en place un organe permanent et indépendant pour promouvoir les droits de l’homme dans les Etats membres conformément aux dispositions de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam ».

Plusieurs questions se posent concernant cette demande :

  1. S’il y a une réelle volonté pour créer un organe « permanent et indépendant » s’occupant de la question des droits de l’homme au sein de l’O.C.I pourquoi limiter son rôle à la promotion ? Les différents organes des droits de l’homme fonctionnant au sein des organisations régionales ou créées par des conventions régionales des droits de l’homme s’occupent des questions de la promotion et de la protection des droits de l’homme. Ainsi, ce fut le cas de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (11) organe de la l’Organisation des Etats américains créée en 1949, et organes de la Convention américaine des droits de l’homme de 1969. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, organe de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 (12), joue un rôle de promotion et de protection des droits de l’homme dans les Etats ayant ratifier cette Charte.
  1. Cet organe doit être créer « conformément aux dispositions de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam ». Mais, il n’a-y aucune disposition dans cette Charte qui fait référence à quelque organe, d’une part. D’autre part, une déclaration est dépourvue, en principe d’un mécanisme ou d’un organe chargé d’une mission de promotion ou de protection.

Comment pouvons-nous expliquer cette phrase ? Est-ce qu’il y a eu une confusion (13) dans l’esprit des rédacteurs de ce programme ? Est-ce qu’ils ont voulu dire : « pour appliquer « les dispositions de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam » plutôt que « conformément aux dispositions de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam » ?

IV. Une Charte des droits de l’homme

Le programme a chargé la Conférence des ministres des Affaires étrangères de l’O.C.I « d’élaborer une charte des droits de l’homme ». Mais, qu’est-ce que les rédacteurs de ce programme voulaient dire exactement par « une charte », et quelle sera la nature de celle-ci, et où pouvons-nous la situer par rapport aux Déclarations du Dacca et du Caire sur les droits de l’homme en Islam ?

Nous voulons bien croire que les dirigeants des membres de l’O.C.I voulaient adopter un instrument des droits de l’homme et franchir une étape supplémentaire dans le domaine de la protection des droits de l’homme dans ces Etats membres.

Les décennies 80 et 90 ont vu l’adoption des déclarations dépourvues de toutes obligations vis-à-vis de ces Etats membres. L’O.C.I cherche aujourd’hui, et suite à ce Sommet exceptionnel, à franchir le pas et à adopter une charte qui établissant les droits de l’homme et ses libertés fondamentales. Il vise également à instaurer un mécanisme de protection car chaque charte dispose d’un mécanisme de protection (La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, la Charte arabe des droits de l’homme de 2004).

C’est notre interprétation de ce programme et notre souhait également car il est temps que l’O.C.I. adopte un instrument de protection des droits de l’homme, mais qu’il nous soit permis ici de lancer un appel aux experts de cette Organisation en leur proposant d’étudier les différentes conventions régionales des droits de l’homme et surtout leurs mécanismes de protection et de ne pas répéter les fautes commises par les experts de la Ligue des Etats arabes qui n’ont pas profiter de ces mécanismes régionaux pour faire doter cette Charte arabe d’un mécanisme efficace de protection (14).

V. Le respect les droits de l’homme

Par quels moyens les Etats membres de l’O.C.I pourront respecter les droits de l’homme ? Le programme nous indique le chemin car il appelle ces Etats « à modifier leurs législations et réglementations nationales afin de garantir le respect des droits de l’homme ». C’est une reconnaissance de la nécessité de modifier les législations nationales pour qu’elles soient compatibles aux normes internationales des droits de l’homme, et c’est aussi un défi pour que ces Etats se conforment aux dispositions des différentes conventions internationales relatives aux droits de l’homme auxquelles ils appartiennent.

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VI. Droits politiques et humains des minorités musulmanes

Le Secrétaire général de l’O.C.I a traité cette question dans son rapport intitulé : « Une nouvelle vision pour le Monde musulman : la solidarité dans l’action » sous plusieurs angles :

  1. Le droit des minorités musulmanes de jouir des droits élémentaires de l’homme. C’est une question presque à l’ordre de jour de chaque Sommet islamique. Mais deux aspects sont liés à cette question :

a)  Les droits élémentaires des minorités musulmanes. Les membres de ces minorités bénéficient de ces droits en tant que citoyens ou résidents dans les différents pays. Les constitutions et les lois de ces pays garantissent ces droits élémentaires et les tribunaux nationaux veillent à leur respect. Nous pensons que les minorités vivant en Europe ont plus de chance que celles habitant ailleurs car ils peuvent bénéficier de la protection du système européen de protection des droits de l’homme, un système très développé par rapport à d’autres systèmes régionaux de protection des droits de l’homme. Il faut parler plutôt de la méconnaissance des membres des minorités musulmanes de leurs droits et de l’existence des systèmes de protection droits de l’homme que de leurs droits élémentaires, et c’est le deuxième aspect de cette question.

b)  La promotion de ces droits dans le milieu des minorités musulmanes. Ces dernières doivent être conscientes de leurs droits pour en bénéficier. Or, les efforts de l’O.C.I. en Europe sont rares s’ils ne sont pas quasi nuls. Ces sont les associations et les organisations non gouvernementales (ONG) qui se chargent, dans la majorité des cas, de sensibiliser ces minorités à leurs droits en organisant des réunions et des séminaires. Il faut, à notre avis, rétablir les contacts entre ces associations et ONG avec et les bureaux et les représentants de l’O.C.I en Europe et coordonner leurs actions dans ce domaine.

  1. La coopération entre l’O.C.I. et les autres organisations internationales comme les Nations Unies, l’Union européenne, le Conseil de l’Europe, l’OSCE, l’Union africaine, etc. Il est très important et très vital une telle coopération surtout dans le domaine des droits de l’homme. Il faut, à notre avis, que les fonctionnaires de l’O.C.I. chargés des question des droits de l’homme soient familiers avec les normes internationales et régionales de protection des droits de l’homme grâce aux réunions, séminaires, sessions de formations organisés par ces organisations internationales, ce qui permettra à ces fonctionnaires d’en tirer profit dans leur travail au sein de l’O.C.I.
  1. L’octroi du statut d’observateur auprès de l’O.C.I. aux ONG représentant des minorités musulmanes. Le fait de mentionner les ONG dans le rapport du Secrétaire général montre, d’une part, la reconnaissance de celles-ci au moment où plusieurs Etats membres nient leur existence ou interdisent leurs réunions, ou mettent des bâtons dans les roues de leurs travaux. Il montre, d’autre part, l’importance de leur rôle dans le domaine de la défense des droits des minorités musulmanes dans les pays européens et américains.

Le Secrétaire général propose à ces ONG d’avoir le statut d’observateur pas seulement auprès de l’O.C.I mais aussi auprès d’autres Organisations internationales ce qui facilitera, sans doute, l’accomplissement de leurs tâches et la réalisation de leurs objectifs.

Nous ne pouvons pas cacher, en guise de conclusion, quelques satisfactions à propos des paragraphes des documents finaux du dernier Sommet islamique, comme l’affirmation de l’égalité en droit entre les hommes et les femmes, le projet de l’élaboration d’une « Convention sur les droits de la femme en Islam », la création d’un organe qui s’occupera des droits de l’homme au sein de l’O.C.I., ou l’adoption d’une Charte des droits de l’homme. Le fait de mentionner ces points dans ces documents prouve que les dirigeants des Etats islamiques sont conscients de l’importance de ces questions pour la Communauté musulmane dans son ensemble. Mais cette satisfaction se heurte, comme à chaque fois malheureusement, aux réalités du Monde musulman. Nous avons le sentiment quelques fois qu’il y a un décalage entre l’aspiration et la réalisation de celle-ci. L’expérience nous a montré à maintes reprises que le consensus trouvé lors des réunions des dirigeants musulmans ne se traduisent pas toujours par une réalisation concrète sur le terrain !

Est-ce que nous pouvons compter, aujourd’hui, et plus que jamais, sur la personnalité du Secrétaire général de l’O.C.I. le Professeur Turc Ekmeleddin IHSANOGLU pour que les recommandations et les programmes de ce Sommet islamique soient traduites dans un avenir proche ?

Notes :

(1) Le 1er Sommet exceptionnel se réunit à Islamabad (Pakistan) en mars 1997, et le 2e à Doha (Qatar) en mars 2003.

(2) Vous pouvez prendre connaissance de ceux-ci en consultant le site de l’Organisation de la Conférence Islamique : www.oci-cio.org.

(3) Voir le texte de cette Charte dans Mohammed Amin AL-MIDANI, Les droits de l’homme et l’Islam. Textes des Organisations arabes et islamiques. Préface Jean-François Collange, Association des Publications de la Faculté de Théologie Protestante, Université Marc Bloch, Strasbourg, 2003, pp. 59 et s. (Ci-après, AL-MIDANI, Les droits de l’homme et l’Islam).

(4) Ibid. pp. 55 et s.

(5) Voir les textes de ces Déclarations, Ibid. pp. 67 et s./pp.72 et s.

(6) Mohammed Amin AL-MIDANI, « Les Déclarations islamiques des droits de l’homme », www.oumma.com, mars 2005.

(7) Voire Mohammed Amin AL-MIDANI, « La Déclaration universelle des Droits de l’Homme et le droit musulman » dans : Lectures contemporaines du droit islamique. Europe et monde arabe, sous la direction de Franck Frégosi. Collection de l’Université Robert Schuman, Société, Droit et Religion en Europe, Presses Universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 2004, p. 154-186.

(8) Voir Mohammed Amin AL-MIDANI, « La Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam est-elle conforme à la Déclaration universelle des droits de l’homme ? », Revue Égyptienne de Droit International, vol. 60, 2004, pp. 31-43.

(9) Nous retrouvons les mêmes confusions dans les versions anglaise et arabe de ce programme ! (Nous rappelons que les trois langues officielles de l’O.C.I. sont : l’anglais, l’arabe et le français).

(10) Voir le texte de cette Déclaration dans AL-MIDANI, Les droits de l’homme et l’Islam. pp. 79 et s.

(11) Voir Bertha SANTOSCOY, La Commission interaméricaine des droits de l’homme et le développement de sa compétence par le système des pétitions individuelles, Puf, Paris, 1995.

(12) Voir, Fatsah OUGUERGOUZ, La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Une approche juridique des droits de l’homme entre tradition et modernité, Puf, Paris, 1993.

(13) Nous retrouvons la même confusion dans les versions anglaise et arabe !

(14) Voir Mohammed Amin AL-MIDANI, « La Charte arabe des droits de l’homme de 2004 », Le Protestant, Genève, août-septembre 2005, pp. 5 et s.

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