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Le dernier Messager (partie 1 sur 4)

Dans l’étude du phénomène coranique, on ne saurait se passer de la connaissance aussi exacte que possible du « Moi » mohammadien. Cette donnée y est aussi nécessaire que l’est un système de repères dans l’étude des propriétés analytiques d’une fonction géométrique.

Le phénomène à examiner est, en effet, lié à la personne de Mohammed et, pour conclure sur la nature de ce lien, un premier pas serait d’établir un critère préliminaire constitué par tous les éléments propres à éclairer un « moi » qui est objet, témoin et juge en la matière.

Par conséquent, il y a lieu de s’entourer quant à ce témoin et à ce juge, des garanties qui nous permettent d’accorder le crédit nécessaire à son témoignage et à son jugement. Cela ne nous empêchera pas de faire, d’autre part, un second pas et un second critère nous permettant de juger directement par nous-mêmes du phénomène. Mais pour le moment, il est naturel de se poser, au sujet du témoin, les questions qu’on se pose ordinairement relativement au crédit moral et intellectuel de celui dont on voudrait enregistrer le témoignage. En particulier, sa lucidité d’esprit et sa sincérité ne doivent faire aucun doute pour être utilisables comme éléments historiques essentiels du problème.

Dans ce but, peut-être faudrait-il exposer tous les détails de la vie de Mohammed : chaque détail étant susceptible de fournir une donnée intéressant ce critère.

Mais nous n’estimons pas nécessaire d’accrocher dans une galerie déjà très riche, un nouveau portrait de Mohammed.

Le lecteur qui voudrait satisfaire le désir légitime de mieux connaître la figure prodigieuse de cet homme, a le loisir de consulter les nombreuses « Sirat En-Nabi » de l’école traditionaliste (voir Ibn Ishâq, Ibn Mess’ud, etc…) où les études biographiques sorties des imprimeries modernes.

Pour nous, il s’agit surtout d’esquisser un portrait psychologique dans lequel le détail biographique n’importe que sous ce rapport-là. Cette mise au point étant faite, la vie de Mohammed présente à nous comme deux étapes successives : l’époque précoranique s’étendant sur une durée de quarante ans, et l’époque coranique embrassant tout le laps de la révélation, soit trente trois années. D’ailleurs, chacune de ces étapes est marquée par un événement capital qui y introduit une césure importante, la partageant en deux périodes secondaires.

En effet, le mariage avec Khadidja constitue, relativement à l’époque pré coranique, une solution de continuité remarquable puisque le futur prophète va s’absorber, semble-t-il, dans une raite mystique jusqu’à la nuit mémorable de la révélation.

De même, la « Hidjra » apportera-t-elle dans l’époque Coranique, la coupure qui va séparer l’ère de la simple prédication de celle des triomphes militaires et politiques qui ouvriront au jeune empire musulman, la scène de l’histoire.

Nous allons examiner très sommairement ces périodes successives, en notant pour chacune d’elles les événements qui ont pu marquer la personnalité de Mohammed ou qui ont pu filtre marqué par elle afin d’éclairer autant que possible la nature du n entre le « Moi » mohammadien et le phénomène coranique.

Époque pré-Coranique, l’enfance et l’adolescence jusqu’au mariage

Une pieuse tradition commune à tous les peuples a toujours entouré de légende le berceau et la tombe des hommes prodigieux.

La tradition musulmane a, elle aussi, entouré le milieu familial, la naissance et l’enfance de Mohammed, de miracles annonciateurs de sa prodigieuse et unique destinée. Mais il n’est pas nécessaire de s’inquiéter de leur degré d’historicité puisqu’ils ne concernent pas directement notre sujet.

Nous porterons plus d’attention aux détails qui vont révéler peu à peu le caractère particulier de cet enfant qui ne cessera d’être, pour la douce Halima, sa nourrice, un sujet de joie et d’inquiétude à la fois.

L’enfant pousse chez elle comme une plante robuste du désert. Mais alors qu’il est encore au sein, il pleure chaque fois qu’on découvre sa nudité pour la toilette. Pour arrêter ses pleurs, sa nourrice n’avait qu’à le sortir, quand c’était la nuit, devant la tente :l’enfant aussitôt était absorbé par le paysage nocturne du firmament qui semblait exercer une irrésistible attraction sur ce regard où perlait encore la dernière larme.

L’enfant, grandi, va jouer maintenant dans les parages de la tente avec ses frères de lait.

Cependant, un épisode se produisit certainement qui changea le cours de la vie pour l’enfant. Quel était au juste cet événement ?

Un jour, dit-on, l’un des frères de lait du nourrisson était rentré essoufflé pour raconter, en bégayant, à la pauvre Halima effrayée, un épisode bizarre qui serait survenu à Mohammed. Celle-ci, bouleversée, serait partie sur le champ à la recherche et à la rencontre de son nourrisson qui lui aurait confirmé son aventure : « Deux hommes vêtus de blanc, aurait-il dit, s’étaient saisis de moi et, m’ayant ouvert la poitrine et le cœur, m’en ont extirpé comme un grumeau noir » (N. D. L. – Aucune source historique ne confirme cette anecdote).

La tradition voit dans cette scène l’extirpation symbolique du péché originel. Et certains exégètes y rapportent les versets suivants

« Ne t’avons-nous pas ouvert le cœur et ne t’avons-nous pas déchargé du fardeau qui accablait tes épaules ? » (CORAN XCIV – V. 1, 2.)

Toujours est-il que Halima avait ramené l’enfant à la Mecque alors qu’il avait quatre ou cinq ans.

Que pouvait-il avoir gardé dans son esprit de ce stage à la vie païenne et bédouine ?

Rien, assurément, qui ait pu imprégner son « Moi » en vue de la vocation future. Mais, peu après, la mort de sa mère Amina survenant, et l’enfant n’ayant plus de toit paternel, son grand-père Abd-El-Muttaleb le recueille.

Peu après, la mort frappe encore ce vieillard, et !’enfant est confié à son oncle paternel Abou Taleb, le père d’Ali. Mohammed avait alors sept ou huit ans.

Son tuteur, dans le foyer duquel, l’abondance ne régnait pas, s’occupait comme guide et intendant des caravanes mecquoises. Il allait ainsi périodiquement vers les centres syriens pour troquer les produits de l’Inde et du Yémen contre ceux des pays méditerranéens.

C’est ainsi qu’à l’occasion d’un de ces départs de caravanes, Mohammed, alors âgé de onze ou douze ans, supplia son oncle de l’emmener. Mais ce dernier refusa, ne désirant pas s’embarrasser d’un aussi jeune compagnon dans un voyage long et pénible. Cependant, l’enfant insista, fondit en larmes et se jeta dans les bras de son tuteur qui céda finalement devant une demande aussi émue.

Donc, voilà pour Mohammed l’occasion d’entrer en contact, pour la première fois, avec le monde extérieur. Jusqu’à douze ans, il avait ainsi vécu exclusivement dans un milieu arabe idolâtre, en gardant, dans les environs de la Mecque, les quelques chameaux de son oncle. C’est dire que jusque là aucune circonstance particulière d’ordre culturel n’avait encore marqué son existence d’orphelin vivant pauvrement Mais ce voyage inopiné va mettre sur le chemin de l’enfant le premier incident qui intéressera directement la future vocation.

En effet, quand la caravane eut atteint la ville de Bosra, en Syrie, le supérieur d’un monastère des environs fit un chaleureux accueil à la caravane des étrangers et leur accorda l’hospitalité chrétienne. Prenant ensuite à part l’oncle de Mohammed, le prêtre, que l’histoire nommera Bahira, lui dit

« Retourne avec ton neveu à la Mecque… L’avenir présage des événements glorieux au fils de ton frère ».

Abou Taleb avait-il accordé de l’importance à ce banal incident de voyage et en avait-il même fait part à son neveu, lui, qui devait mourir sans vouloir confesser l’Islam jamais ? En tout cas, le chef de la caravane mecquoise dut d’abord s’acquitter de sa mission commerciale avant de reprendre le chemin du retour. Quant à l’enfant – à supposer même qu’il en eut vent – l’incident ne sembla pas avoir rien changé à sa manière de vivre comme tous les jeunes koréïchites. La tradition, si attentive aux faits de son histoire, n’avait rien noté de particulier depuis cet incident historique qui pu déceler quelque chose comme un « chemin de Damas » pour le futur prophète.

Mohammed a atteint l’adolescence dans sa ville natale où il se mêle maintenant à la jeunesse en subissant même ses tentations, sans y succomber pourtant. Les occasions de débauche n’y manquent pas cependant. Les lanternes rouges accrochées aux portes des courtisanes attirent cette jeunesse mecquoise, passionnée pour les armes, le charme féminin et la poésie. On s’enivre, rêvant aux prouesses d’Antar et aux aventures amoureuses d’Amrou El-Kais. Chacun nourrit l’espoir d’immortaliser son nom en accrochant un jour une « mo’allaquat » aux parois de la « Kaaba ».

Mohammed est emporté dans ce tourbillon. Parfois même, il ressent l’aiguillon de ses jeunes sens : il se dirige lui aussi vers le haut quartier de la ville, vers… une lanterne rouge. Mais toujours un incident fortuit vient l’en détourner. Sur ce point, ce n’est plus la légende qui parle, mais le témoin lui-même, c’est-à-dire l’histoire fondée sur les hadiths authentiques

D’ailleurs nous possédons sur ce point, un recoupement intéressant : le futur prophète rencontre certainement dans le tourbillon de cette jeunesse, plusieurs de ses futurs compagnons qui devinrent dans la suite, comme Omar, les champions, les héros et les martyrs de sa cause.

Il y a dans ce recoupement historique, un témoignage tacite des plus illustres noms de l’histoire musulmane, les « Walid » les « Othman » etc, qui portaient déjà sur le futur prophète un jugement laconique mais combien éloquent : El Amin. Il était à leurs yeux, dés cette époque, le fidèle, le sûr (Amin), et ce témoignage historique apporte pour le portrait psychologique que nous envisageons, un détail précieux.

Cependant, cette existence normale et simple se continue pour Mohammed sans rien de particulier dans sa trame quotidienne jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans. Mohammed est encore célibataire : il n’a pas su se marier, car pour prétendre à la main d’une honorable mecquoise, il aurait fallu verser une dot importante que ne lui permettait pas sa très humble condition.

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Epoque pré-Coranique, Le mariage et la retraite

Cependant, à l’âge de vingt-cinq ans, un esclave nommé Maissarra vint lui faire des ouvertures de mariage. Il s’agissait d’une riche et noble veuve de la Mecque, nommée Khadidja. Mohammed refusa en faisant valoir sa trop modeste situation par rapport à la position considérable de l’épouse qu’on lui proposait. Mais l’émissaire, intelligent, avait su apaiser ses scrupules : Khadidja étant d’ailleurs intervenue elle-même pour le décider. Nous devons même à cette intervention un détail précieux pour l’histoire du phénomène coranique. Il devait sans doute exister à la Mecque, vers cette époque-là, une psychose particulière, comme il y en a toujours eu partout à la veille des événements importants comme la guerre par exemple. Les Mecquois s’attendaient au prophète promis dans la postérité d’Ismaël. Khadidja nourrissait secrètement l’ambition d’épouser le Prophète attendu et le voyait en Mohammed, auquel elle fit part, très loyalement- d’ailleurs, de ses sentiments particuliers à son égard. Mais, lui se défendit non moins loyalement d’être ce prophète-là.

La circonstance du mariage qui nous laissa un précieux document biographique, en l’espèce de la « Khitba » (allocution dite à l’occasion des fiançailles) que l’oncle du prophète prononça selon la coutume koréichite

« Louange à Dieu », dit-il, en présence des principaux Koréïchites réunis au domicile de l’épouse. « Louange à Dieu qui nous a fait naître de la postérité d’Abraham et d’Israël et qui nous a donné en héritage le territoire sacré. Mohammed, fils d’Abdallah, mon neveu, est privé des biens de la fortune, de ces biens qui ne sont qu’un dépôt qu’on rendra tôt ou tard. Mais il surpasse tous les autres Koréichites en vertu, en intelligence, en lignée et en grandeur d’âme. Mohammed, dis-je, mon neveu, a une inclination envers Khadidja, et celle-ci éprouve le même sentiment pour lui. Je déclare que, quelle que soit la dot nécessaire pour conclure ce mariage, je la verserai pour lui ».

Voilà donc marié cet homme « privé des biens de la fortune » mais doué de « vertu et de grandeur d’âme ».

Ces traits correspondent bien à la physionomie d’El Amin, et coïncident, de toute façon, avec le portrait historique du héros de la plus grande épopée le l’histoire religieuse.

Mais voici que son existence normale va brusquement changer : Mohammed va se retirer de la société mecquoise, s’écarter de son milieu, se recueillir dans une retraite qui aura son dénouement au Mont Hira.

Quel bagage spirituel et intellectuel avait-il pu emporter dans cette retraite d’où jaillira, quinze ans plus tard, la lumière coranique ?

Nous savons qu’à son époque, les mœurs païennes de son milieu se superposaient à un vieux ton de monothéisme traditionnel qui se reflète d’ailleurs assez bien dans la Khitba d’Abou Taleb. Mais ce monothéisme atavique n’implique aucun culte particulier : la Ka’aba était surtout le temple des idoles ou la scène politique des familles patriciennes. Quand à la vie culturelle de la Mecque, elle s’était depuis longtemps organisée selon la règle d’un syncrétisme intertribal : Hobal, El-Lat, Uzza, es arabes, ni leurs coutumes, surtout guerrières. Cela explique ’ailleurs la lutte âpre qui s’engagera bientôt entre les tenants de et ordre djahilien et l’Islam naissant. Même ce vénérable et oble koréïchite qu’était Abou Taleb, dont on vient de citer les aroles si nobles et si élevées de sa « khitba », mourut sans abjurer cependant les idoles, malgré les supplications désespérés de son neveu.

Telle était la vague idée que le futur prophète pouvait avoir emporté dans sa retraite sur la religion de l’ancêtre Abraham. Il faut ajouter, toutefois, que cette religion avait survécu dans un état plus pur chez quelques mystiques qu’on nommait à époque : « les Hanifs ». Ces « hanifs » étaient des hommes assez curieux qui se séparaient de l’idolâtrie de leur époque pour se consacrer à l’adoration d’un Dieu unique (1). Mais la vie mystique de ces ascètes ne s’accompagnait d’aucune règle particulière ni d’aucune forme liturgique. A fortiori, ne devaient-ils point avoir de filiation spirituelle avec une secte quelconque des Écritures. La chronique de l’époque ne signale aucune église à la Mecque ni aucune synagogue ni de Monastère dans les environs.

Les « hanifs » se retiraient simplement dans quelque lieu solitaire sans rompre d’ailleurs tout à fait avec le siècle. Pour seule règle mystique, ils pratiquaient le « Zuhd » ou renoncement, ce qui indique assez l’empreinte du désert sur leurs âmes. En effet, le « Zuhd » est dans le tempérament même du Bédouin dont la fortune est constamment à la merci d’une sécheresse ou une razzia. Dans les mots mêmes qu’Abou Taleb a prononcés l’occasion des fiançailles de Mohammed sur les « les biens qui ne sont qu’un dépôt qu’on rendra tôt ou tard » s’exprime bien plus l’âme du désert que l’esprit des couvents.

L’effort mystique des « hanifs » ne tend ni vers la morale chrétienne ni vers la légalité mosaïque, mais vers quelque chose comme une simple discipline individuelle dont nous trouvons expression morale la plus sublime dans les poésies de Kuss, lequel – si même il avait été chrétien comme on le dit – n’a laissé pour l’histoire que des vers étincelants du plus pur génie du désert.

Mais, apparemment, l’empreinte abrahamique était encore assez sensible dans le milieu djahilien à cette époque, puisqu’il surgissait, ça et là, un « hanif ». Mais cette empreinte est uniquement de tradition arabe, et n’avait rien de commun avec ta pensée judéo-chrétienne dont le courant spirituel avait pris naissance bien longtemps auparavant, avec le premier mouvement prophétique en Israël, c’est-à-dire avec Moïse.

Même de nos jours, après treize siècles de cette culture islamique qui a forcément imprimé son caractère à l’esprit arabe du désert, le folklore monothéiste n’y est pas encore tellement répandu, et beaucoup de musulmans du Nord du « Nejd » ignorent encore assez la chronologie judéo-chrétienne (2).

Par conséquent, il n’est pas logique de supposer aux « hanifs » plus de connaissances qu’à nos contemporains, sur le courant de pensée et l’histoire du monothéisme. Il est facile d’imaginer, avec quel maigre viatique, avec quelles notions ordinaires et dans quelles intentions normales, Mohammed va, après son mariage, s’isoler de son siècle, comme le faisait le « hanif » de son époque. Il est toutefois utile de préciser que les conditions que nous venons de noter sont d’autant plus certaines dans le cas de Mohammed, qu’il était « Ummi » : un analphabète à qui, par conséquent, aucune information religieuse écrite n’était possible. C’est là, d’ailleurs, une remarque superfétatoire, puisque comme nous le montrerons plus loin, cette source écrite elle-même faisait défaut.

Maintenant, sur cette retraite de quinze années, quels renseignements avons-nous ?

A part quelques détails biographiques, relatifs à la vie conjugale et familiale de Mohammed, nous ne savons rien quant à l’organisation de sa vie spirituelle à cette époque.

Va-t-il se plonger dans une profonde méditation du problème religieux, guidé par une sorte d’intuition de la future vocation ? L’éminent orientaliste Dermenghem a répondulà-dessus d’une façon affirmative. Mais cette réponse nous semble plutôt due à l’imagination de l’auteur qui n’avait pas apparemment recueilli sur ce point, un témoignage historique pourtant inattaquable, celui du Coran. Or, ce livre nous dépeint rétrospectivement l’état d’esprit chez Mohammed avant la révélation dans les termes suivants : « Tu n’aspirais pas certes à recevoir le Coran. Ce n’est qu’une faveur de ton Dieu. Ne prête point d’appui aux incroyants ». (Cor. XXVIII. – V. 86).

Qu’est-ce à dire, sinon que Mohammed ne nourrissait aucune espérance à un rôle messianique pour lui-même, ni avant ni pendant sa retraite. C’est pourtant bien la signification psychologique du verset dont la portée historique a échappé à M. Dermenghem bien qu’il n’ait jamais douté de l’historicité du Coran.

Il faut noter d’ailleurs qu’une telle signification n’est liée qu’à une seule condition nécessaire et suffisante : la sincérité absolue de Mohammed. C’est précisément le but de ce critère d’établir cette condition préalable essentielle afin de voir dans le Coran, en plus de son caractère historique certain, un miroir rétrospectif, quelque chose comme un rétroviseur, dans lequel nous pouvons saisir, par réflexion, les divers états qui ont marqué l’histoire intime du « Moi » mohammadien. En sorte que nous pouvons voir dans le verset ci-dessus, la peinture exacte de l’état d’âme chez Mohammed à l’époque du Ghar Hira.

Il n’y a donc aucune raison de prêter au fidèle « El Amin » une intention apprêtée de préméditer, au moment où il va se retirer du monde, après son mariage. Les conclusions du présent critère renforceront, chemin faisant, ce jugement anticipé.

Il y a cependant un point obscur : les historiens modernes s’étonnent que la tradition possédât si peu de renseignements sur cette retraite qui est pourtant la période capitale – au point de vue psychologique – pour l’histoire de la future vocation.

En effet, nous ne possédons que très peu de détails là-dessus. Mais il n’y a rien d’étonnant à cela : l’histoire ne pouvait que suivre les traces du futur prophète dans la mémoire de ses contemporains. Or, il s’est précisément effacé et dérobé aux regards de son temps pour demeurer durant quinze ans le solitaire de la Mecque ou du Mont Hira. Et nous trouvons dans sa discrétion sur ce point, la preuve que la tradition parfois accusée de majorations – est au contraire d’une parfaite circonspection, quand les détails historiques lui font réellement défaut.

Faute de ces détails, pour nous-mêmes, nous sommes obligés de recourir aux recoupements et aux documents psychologiques fournis par le Coran. Nous justifions cette position par la pérennité du « moi » mohammadien durant toutes les étapes de sa vie, depuis la scène de son mariage, qui nous a permis de recueillir quelques données positives sur ce moi

Or, cet homme, qui s’est éclipsé de la scène de l’histoire durant quinze ans, va y reparaître pendant vingt-trois ans pour vivre, penser, parler et agir plus que jamais en pleine lumière. En effet, nous connaissons, en ce qui concerne la période coranique, même jusqu’aux détails futiles de sa vie conjugale grâce à cette tradition, tout à l’heure si discrète. Il est donc possible d’éclairer les traits essentiels de sa retraite par les recoupements de sa vie ultérieure. Or, c’est Mohammed lui-même qui nous indiquera plus tard sa manière d’employer son temps. En-Nawawi rapporte en effet le hadith suivant : « Le croyant doit partager sa vie entre l’adoration de Dieu, la contemplation de son oeuvre et l’effort quotidien pour assurer son existence terrestre ».

Si nous admettons la pérennité du « Moi » mohammadien, voilà donc tracé pour nous le programme de vie que devait suivre Mohammed, notamment dans la période de sa retraite. D’ailleurs les habitudes se fixent plus particulièrement chez l’adolescent pour se refléter par la suite dans toute sa vie, et c’est, pensons-nous, le cas pour Mohammed, quand son épouse Aicha lui fera plus tard une remarque empreinte du souci de sa santé sur ses très longues stations debout, dans ses prières surérogatoires. C’était là, certainement, une habitude fixée chez le prophète depuis l’époque de sa retraite.

Donc, si le Prophète accordait une si large part à la prière dans son emploi du temps, alors que les soucis des détails matériels de sa mission le pressaient, combien plus librement ne devait-il pas s’y consacrer quand il n’avait encore à faire face à aucun détail de la vie matérielle et publique. Par conséquent, il n’y a pas lieu de s’étonner de trouver si peu de documents sur cette période de sa vie qui était positivement sans histoires.

Ce n’est que vers la fin de cette période que les échos de cette retraite parviendront au monde extérieur avec la nouvelle sensationnelle de la venue du Prophète attendu.

Notes :

  1. Abu-dharr EP-Ghifari vécut dans cet état, trois années avant de connaître le Prophète et d’embrasser l’Islam.

  2. Raswan : étude sociologique.

    Extrait de « le phénomène Coranique » de Malek Bennabi, 1946, édité par "International Islamic Federation of Student Organizations"

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