in

La revanche posthume de Skander Vogt

Emprisonné sans motif pendant dix ans dans les quartiers de haute sécurité d’une prison suisse, Skander Vogt, un binational suisse-tunisien, est mort le 11 mars 2010 dans des conditions scandaleuses. Il avait 30 ans. Quatre mois après sa disparition, les sanctions pleuvent sur l’administration pénitentiaire et la police.

Condamné à 20 mois de prison pour « vol, injures, coups et blessures », Skander Vogt aurait dû sortir de prison en juin 2001. Mais depuis, l’administration pénitentiaire suisse le gardait derrière les barreaux, sous prétexte qu’il était dangereux pour la société. Une accusation gratuite puisque la justice lui refusait toute demande d’expertise psychiatrique ! Skander Vogt ne sortait de sa cellule que pieds et poings liés.

Dans la nuit du 10 au 11 mars, pour protester contre d’incessantes brimades, Skander Vogt met le feu à son matelas. Les gardiens de la prison attendent une heure et demie avant de lui porter secours. Sa cellule n’est même pas ventilée. Le prisonnier meurt asphyxié. Plus sordide encore, dans des écoutes téléphoniques, diffusées dans la presse suisse et française, on entend les policiers traiter Skander Vogt de « crevure », répéter qu’« Il peut crever », que « Ça lui fait du bien » ou que « ce n’est pas une grande perte »…

« Ni un malade mental, ni un criminel »

Fort heureusement, il existe des hommes indépendants. Mandaté par le canton de Vaud pour enquêter sur les circonstances du décès de Skander Vogt, l’ancien juge fédéral Claude Rouiller a rendu un rapport accablant. Skander Vogt n’était « ni un malade mental ni un criminel ayant porté atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui (…) Il avait été jugé dangereux du fait de sa personnalité profondément perturbée par une enfance et une adolescence d’une rare brutalité. Il n’était pas nécessaire de lire dans le marc de café pour prévoir que son internement carcéral ne mènerait à rien de positif et que ce serait en fin de compte un beau gâchis individuel et social », écrit le magistrat.

Publicité
Publicité
Publicité

Comme l’a raconté « Oumma.com » l’année dernière, Skander Vogt n’avait que deux ans et demi lorsque sa mère tunisienne meurt. Lui et sa sœur aînée vivaient alors en Tunisie. Ils sont recueillis par une tante. Pour une raison inconnue, leur père, originaire de Bâle, en Suisse, n’entre plus en contact avec ses deux enfants. L’homme est décédé en 2003 sans les avoir revus. En 1993, la tante ne veut plus s’occuper des deux enfants et les expédie en Suisse, où ils sont accueillis dans des familles d’accueil à Lausanne. Skander Vogt tombe alors dans la petite délinquance. La suite est connue, c’est l’histoire d’un homme enfermé pendant dix ans sans avoir de crime à réparer. « Il y aurait eu de quoi devenir vraiment fou », analyse le quotidien genevois « Le Courrier ».

« Homicide par négligence »

Pour commencer Philippe Leuba, le ministre de l’Intérieur du canton de Vaud, vient de licencier avec effet immédiat Catherine Martin, la cheffe du service pénitentiaire. Elle n’a « ni les qualités, ni l’autorité requises pour mener les réformes substantielles » du service pénitentiaire, jette le ministre. Ensuite, deux protagonistes du drame, le gardien sous-chef de piquet et l’infirmier de garde sont mis en examen pour « homicide par négligence ». Enfin, cinq hommes, dont un adjudant, qui travaillaient à la centrale d’appels de la police cantonale la nuit du 10 au 11 mars, lorsque le personnel du pénitencier les a appelés, reçoivent une mise en garde du gouvernement du canton de Vaud. « Si le stress peut expliquer les dérapages verbaux, il ne les excuse pas », écrit le commandant de la police.

N’est-ce pas déjà le début d’une revanche d’outre-tombe pour Skander Vogt ? Toutefois, sa sœur Senda n’entend pas en rester là. « Je ne lâcherai pas le morceau. Les gardiens et leur chef présents sur place lors de son décès doivent être jugés. Le directeur de Bochuz aussi », déclare-t-elle dans « Le Matin Dimanche ». Bochuz étant le nom de la prison où Skander Vogt était incarcéré. Senda Vogt ajoute, parlant de Sébastien Aeby, le directeur de Bochuz : « C’est lui d’ailleurs qui nous a annoncé la mort de mon frère par téléphone. Il nous a dit : “Il s’est suicidé“. À nouveau, il a essayé de le faire passer pour un malade, il a essayé d’étouffer l’affaire ».

Publicité
Publicité
Publicité

Laisser un commentaire

Chargement…

0

Résultats du concours “L’Italien”

Karachi passé au crible des journalistes de Mediapart sur BFM TV