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La politique américaine au Moyen-Orient

A quand peut-on dater l’intérêt des Etats-Unis pour le Moyen-Orient ?

On pourrait remonter à 1919 et voir dans l’énonciation par le président Wilson de ses célèbres Quatorze points les premiers signes d’un attrait américain pour le Moyen-Orient. Mais c’est dans la fin des années 1920 que l’on peut déceler le premier positionnement concret des Etats-Unis dans la région. A l’époque, Washington était en effet soucieux de garantir ses approvisionnements en pétrole, et c’est pourquoi il était entré dans le capital de la Turkish Petroleum Company, un consortium rassemblant un ensemble d’acteurs intéressés par l’exploitation du pétrole moyen-oriental, et irakien plus particulièrement.

De même, en 1945, un Pacte du nom de Quincy sera conclu entre le président américain Roosevelt et le roi saoudien Ibn Saoud, qui permettra l’accès des Américains au pétrole saoudien à des conditions préférentielles en échange de leur engagement à fournir ce pays en matériel militaire et de contribuer à la défense de son territoire en cas d’agression externe. Mais il faut bien voir et reconnaître que les Etats-Unis s’émanciperont très vite d’une vision quasi-exclusivement pétrolière de cette région, pour se consacrer à un plus franc positionnement stratégique.

Cette volonté, qui s’expliquait notamment par la crainte qu’avait Washington de voir l’ex-URSS exporter son idéologie communiste dans la région, interviendra en plusieurs étapes. Premièrement, le soutien des Etats-Unis au plan de partage de la Palestine de 1947 avait pour visée importante la volonté de consacrer la création d’un Etat juif qui puisse être un relais américain régional. Puis, l’opposition de Washington à la guerre de Suez de 1956 aura pour principal effet recherché de mettre en difficulté les puissances française et britannique, qui péricliteront d’ailleurs au lendemain de cet événement.

Enfin, la guerre des Six-Jours de juin 1967 signifiera le troisième pan significatif de la stratégie régionale américaine. Depuis l’éclatement de ce conflit, les Etats-Unis ont en effet opté pour une alliance indéfectible avec leur allié israélien, que rien – ou presque – ne viendra altérer par la suite.

Quels sont les pivots stratégiques de la politique américaine au Moyen-Orient ?

Israël constitue indéniablement l’un des pivots stratégiques majeurs de la politique américaine au Moyen-Orient ; sans quoi, les aides financières et militaires consacrées à l’Etat hébreu n’auraient pas l’importance qu’on leur connaît aujourd’hui. Washington et l’Etat hébreu se reconnaissent en effet une communauté de valeurs, et une unité dans les points de vue, qui participent pour beaucoup de leur forte relation.

Pour les Etats-Unis, Israël incarne ainsi l’idée d’un relais local qui reste favorable à ses plans régionaux ; l’Etat hébreu, pour sa part, sait qu’il peut continuer à compter sur un parapluie militaire américain particulièrement important et vital au vu de l’état exécrable des relations israélo-arabes.

Pour le reste, les Etats-Unis considèrent que l’ensemble des gouvernements arabes et/ou moyen-orientaux disposés à asseoir leurs visées régionales peuvent éventuellement leur servir de relais stratégiques locaux. Mais ce qui différencie ces derniers de l’exemple israélien, c’est le capital-confiance. En effet, alors que les gouvernements de l’Etat hébreu, de gauche soient-ils ou de droite, restent inconditionnellement pro-américains, les autres Etats de la région ont, du point de vue américain, un « inconvénient » majeur : celui de ne pas pouvoir garantir un « philo-américanisme » durable.

Washington se doute ainsi de ce que tout changement de la donne gouvernementale dans l’un quelconque des pays du Moyen-Orient reste susceptible de porter au pouvoir des formations opposées aux intérêts régionaux américains. C’est pourquoi l’on peut parler d’une double-vision régionale de la part des Etats-Unis : celle d’un pivot stratégique israélien solide, doublé de la présence de pions moyen-orientaux nécessairement faillibles.

En quoi les années 1990 constituent-elles un tournant dans la politique américaine au Moyen-Orient ?

C’est l’année 1989, avec l’effondrement du mur de Berlin, qui suivait de peu le retrait russe d’Afghanistan, qui a plus précisément impliqué un tournant dans l’état des relations internationales, et donc dans la vision américaine du Moyen-Orient. A partir de cette date, la donne internationale a en effet été entièrement bouleversée, comme le confirmera d’ailleurs l’effondrement de l’ex-URSS deux ans plus tard.

La menace communiste estompée – ou en voie de l’être -, c’est l’idée du monde bipolaire qui connaissait ses limites. Il y avait dès lors nécessité pour Washington de se repositionner stratégiquement. L’invasion par Saddam Hussein du Koweït, en 1990, tombera ainsi à point nommé. Le président américain de l’époque, Georges H. Bush, prononcera un discours devant le Congrès le 11 septembre 1990, dans lequel il dira très explicitement que l’agression du président irakien se devait d’être capitalisée par les Etats-Unis.

Il sous-entendait par là que son pays devait rebondir sur cet événement afin de renforcer sa présence militaire dans les pays du Golfe et tirer profit du pétrole de la région d’une part, et de proposer les modalités d’une coopération internationale d’autre part.

Certes, on croyait voir s’esquisser là les conditions pour l’établissement d’un ordre international multilatéral. Mais dans les faits, les relations internationales iront, depuis, vers une confirmation de leur caractère franchement unipolaire. Les Etats-Unis resteront en effet les leaders majeurs de la coalition anti-Saddam Hussein, tout comme ils seront les maîtres de toutes les opérations de réconciliation à venir, comme on le verra avec le processus de Madrid de 1991 ou les accords d’Oslo dès 1993.

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Les attentats du 11 septembre ont-ils réellement influencé la politique américaine dans cette région ?

Le 11-Septembre n’a rien changé à la donne des relations internationales, puisque les rapports de force internationaux qui préexistaient à cet événement sont restés les mêmes. Mais les attentats du World Trade Center ont contribué, par contre, à accélérer l’action des Etats-Unis à l’international. Pour preuve : l’invasion de l’Irak, qui a connu trois justifications successives au préalable (la détention par Saddam Hussein d’Armes de destruction massive, les liens entretenus entre le régime irakien et al-Qaëda, et enfin l’aspiration des Irakiens à un régime démocratique) était inscrite sur l’agenda du président démocrate Bill Clinton en 1998.

Néanmoins, les attentats du 11 septembre n’en ont pas moins permis la conceptualisation d’un nouvel ennemi : l’islamisme, ennemi global que la presse américaine avait commencé à évoquer dès le début des années 1990, c’est-à-dire à l’époque où s’estompait la menace communiste. Cela n’écarte en rien la menace effective incarnée par l’islamisme radical et violent aujourd’hui, cela va de soi.

Mais force est de constater que les Etats-Unis ont opté depuis pour la dénonciation quasi-exclusive de cet ennemi, tout en mettant en œuvre une politique qui laisse ouverte la voie à deux amalgames au moins : celui de confondre islam et islamisme, d’une part ; et celui de vouloir mettre toutes les formations politiques se réclamant de l’islam dans ce même sac islamiste de l’autre. Sans compter qu’une approche américaine souvent musclée des affaires moyen-orientales reste loin de pouvoir contribuer à la résorption de l’action des islamistes radicaux.

La communauté arabe des Etats-Unis a-t-elle un poids politique ?

Les Arab Americans ont cherché depuis le traumatisme de la guerre de juin 1967 à unir leurs forces afin de constituer un lobby à même de pouvoir contrer l’influence reconnue des lobbies pro-israéliens en action au sein du Congrès américain. Mais leurs efforts sont restés vains. On peut voir plusieurs raisons à cela. Le manque de coordination et de canalisation de leurs moyens financiers a sa part d’explication, bien entendu. Mais il ne faut pas oublier non plus que les Arab Americans continuent le plus souvent à faire primer les affiliations extranationales sur les déterminants d’ordre politique.

On trouve ainsi peu d’organisations prônant la défense des intérêts des Arab Americans chrétiens, mais par contre, les associations de défense des intérêts des Arab Americans musulmans sont légion. Qui plus est, ces derniers représentent moins de la moitié de l’ensemble des Américains d’origine arabe en présence sur le territoire, contrairement à ce que l’on pourrait croire de prime abord. Dès lors, on voit bien que les Arab Americans souffrent d’une double-contrainte : leur base est extrêmement éclatée ; et les instances officielles ne disposent pas du soutien nécessaire pour asseoir leur capacité d’influence.

Dans ce contexte, l’Arab American Institute, institution la plus connue du paysage arabe américain, ne pèse que très peu par rapport à un organisme aussi puissant que l’American Israel Public Affairs Committee, dont l’influence effective sur le Congrès américain est publiquement reconnue.

Quel est l’objectif réel du projet américain de « Grand Moyen-Orient » ?

Bien malin qui saura le dire ! Le projet américain de « Grand Moyen-Orient », officialisé en février 2004, insistait sur trois points principaux : démocratiser le Moyen-Orient pris dans son acception large ; réformer les programmes scolaires et modalités d’enseignement dans cette région ; et enfin, convertir l’ensemble des économies concernées au libre-échange. Faut-il en déduire que les Etats-Unis ont pour principal souci de démocratiser la région ? Oui et non.

La contradiction la plus évidente de la vision américaine pour l’évolution de la région est provenue des Territoires palestiniens, où l’on a vu que la consécration régulière et somme toute démocratique du Hamas s’est vue opposer une fin de non-recevoir américaine. Or on ne peut prôner la démocratie d’une part, et chercher à imposer ses partenaires de l’autre, et c’est probablement ce qui décrédibilise encore plus des Etats-Unis dont le capital-confiance dans la région est pourtant largement entamé.

Dans le fond, si la vision des Etats-Unis pour l’évolution de la région s’assimile à la confirmation du scénario irakien, on ne peut que redouter le pire. Contrairement à ce que beaucoup affirment, l’Irak n’est pas engagé dans un processus pleinement démocratique aujourd’hui. C’est plutôt la communautarisation de ce pays qui est au rendez-vous pour l’heure, du fait notamment de la déliquescence du pouvoir central irakien. Et cette tendance, si elle se confirme politiquement, n’épargnera pas le reste de la région.

C’est pourquoi il reste intéressant et inquiétant à la fois de constater que la vision américaine de la démocratie s’exerce pleinement dans le seul cadre des communautés : des chiites désignent leurs leaders, des sunnites font de même, et ainsi de suite avec les Kurdes, les Turcomans ou encore les assyro-chaldéens. Cette même tendance existe d’ailleurs au Liban, pays dont le terreau reste originellement beaucoup plus favorable aux réflexes communautaires.

Alors, que faut-il pressentir dans le projet de Grand Moyen-Orient ? Si les évolutions moyen-orientales contemporaines découlent réellement de ce projet, autant ne pas se voiler la face et parler très franchement d’un Sykes-Picot 2. Avec ce que cela implique de conséquences néfastes pour une région dans les lourds et prégnants contentieux historico-religieux se combinent avec une particularité socio-communautaire : les zones pétrolifères les plus importantes y sont rarement habitées par les ressortissants de plusieurs communautés.

Propos recueillis par la rédaction

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