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La mosquée de Strasbourg au miroir du droit

Il est des coïncidences qui méritent d’être pointées. Au moment où démarre le chantier de la grande mosquée de Strasbourg viennent d’être publiés le rapport de la commission présidée par JP MACHALON sur les relations entre les pouvoirs publics et les cultes et le rapport du groupe parlementaire UMP présidé par A ROSSINOT sur la laïcité dans les services publics.

Commandé par le ministre de l’Intérieur, N SARKOZY, le rapport MACHALON porte sur une éventuelle modification de la loi de 1905, adaptation qui permettrait notamment de donner un cadre plus efficient à la construction et au financement des lieux de culte musulman, d’esquisser une solution pour les carrés confessionnels et, d’une manière générale, de faire évoluer le cadre associatif cultuel eu égard aux nombreux aménagements qu’a déjà connus la loi de séparation. Il répond à la préoccupation ministérielle exprimée dans la lettre de mission du 20 octobre 2005 de tenir compte des attentes « des grandes religions de France » et, d’emblée, situe ses propositions dans une logique de réforme technique et d’ajustements opérationnels. A l’inverse, le rapport de l’UMP campe sur le principe de laïcité.

Il constate que le droit ne la garantit pas suffisamment et propose, après la loi sur les signes religieux à l’école, une affirmation du même principe à l’hôpital, dans les services publics locaux et dans la fonction publique d’Etat. Pour l’UMP, la loi de 1905 est à l’origine de « grands équilibres qui sont un élément essentiel de notre contrat social ». Pour le rapport MACHALON, la même loi, si elle pose le principe d’indétermination de l’Etat à l’égard du religieux et de séparation entre le même Etat et les religions, n’est pour le reste de ses dispositions qu’une loi de circonstance qui acte du divorce entre la jeune III République et l’église catholique.

Il serait tentant d’ironiser sur le grand écart qui semble séparer le président de l’UMP de sa propre formation politique. L’un suscite une réflexion juridique plutôt novatrice et pertinente dans le débat national mais conforme aux conclusions des multiples rapports européens sur la liberté de religion. L’autre incarne une laïcité, fer de lance contre « le prosélytisme extrémiste, les communautarismes, l’intégrisme religieux et sectaire et la tentation du repli identitaire ». De ce point de vue, la commission ROSSINOT n’est pas loin de partager les vues d’une partie de la gauche crispée sur une laïcité identitaire à la manière de Gisèle Halimi qui, pendant les travaux de la commission STASI, appelait dans Le Monde à « limiter la liberté de conscience ».

Il n’en demeure pas moins que, si la vision de la laïcité est moins homogène que ne le souhaite l’UMP, notamment « parmi certaines populations souvent issues de l’immigration », si ces dernières y voient « une caution au déséquilibre entre l’islam et les autres religions », il n’est pas certain que la réponse à la demande de lieux de culte décents passe prioritairement par un aménagement de la loi de 1905. Le risque est grand d’aviver à nouveau un débat récurrent et de susciter cette sorte d’hystérie collective fustigée par Itsvan BIBO (*).

Parce qu’édifiée dans une région où subsiste à la manière d’un anachronisme un régime particulier des cultes, la mosquée de Strasbourg illustre non pas la nécessité de faire évoluer la loi qui ne s’applique pas en Alsace Moselle, mais de faire appliquer le droit tel qu’il est. Le rapport MACHALON effleure cette réalité du non droit. Il aurait été intéressant qu’il s’y attachât davantage même s’il souligne le fait trop fréquent d’un droit de l’urbanisme instrumenté pour empêcher la construction de lieux de culte.

Deux ministres de l’Intérieur, JP CHEVENEMENT puis D De VILLEPIN, ont déjà, par voie de circulaires, rappelé cette évidence, à savoir que la loi n’a pas à faire obstacle à l’édification de lieux de culte. Sans doute, la place Beauvau est-elle un bon poste d’observation de l’ordre public et de ses désordres.

Envisagée depuis 1992, la grande mosquée de Strasbourg a connu bien des avatars. Porté par une sensibilité d’origine marocaine qui est en position oligopolistique sur le marché de la croyance originaire du MAGHREB, le projet a été soutenu par l’ancien maire socialiste Catherine TRAUTMANN qui, théologienne de formation, souhaitait que la laïcité se conjuguât dans l’espace urbain avec la nécessité spirituelle.

Telle était son ambition exprimée à l’occasion de l’inauguration de l’extension de la synagogue de la Paix et c’est pourquoi la mosquée devait, avec le temple et la cathédrale, prendre place en centre ville, être emblématique d’un islam européen et s’accompagner d’une vaste bibliothèque de référence. Adopté en conseil municipal sous la protection des CRS et sous la forme d’une mise à disposition du terrain, d’un bail emphytéotique, d’une subvention de 10% du coût d’investissement, le projet a fait l’objet d’un concours international d’architecture.

Le changement de majorité a failli lui être fatal. L’instruction du permis de construire sera abandonnée sans aucun motif tiré du droit de l’urbanisme. « Le projet ne nous plaît pas ». Toutefois, le principe de réalité aidant, l’idée d’une gestion sécuritaire de l’islam ont amené la nouvelle municipalité à reprendre le projet, à l’approuver dans une lettre toujours non rendue publique mais à en exiger la partition. La première phase en cours de construction ne représente qu’un tiers du projet initial.

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La municipalité a exigé le retrait du minaret, « contraire à la tradition chrétienne bimillénaire de l’Alsace », interdit le financement en provenance de l’étranger, demandé que les prêches soient prononcés en français dans une région où il arrive que les pasteurs et curés s’expriment encore en allemand. La subvention est l’objet depuis 2002 d’un psychodrame ; toujours annoncée, jamais délibérée alors que le département et la région ont, chacun, acté leur participation. Faut-il ajouter que l’autorité municipale a souhaité que la mosquée soit le lieu de la fédération des musulmans et, dans un courrier au ton furieux, a sommé les imams de faire baisser les violences urbaines.

Cette gestion infra juridique a dilué les efforts, usé plusieurs responsables de la Mosquée. Pour autant malgré ces difficultés, un pré financement (2 millions d’E sur un coût total de 6,5) a été trouvé pour le démarrage des travaux sans qu’aujourd’hui, en l’absence d’une décision de la ville sur la subvention, le projet ne soit assuré définitivement d’un financement public qui permette son achèvement en toute sérénité (le financement public -région, département, ville- est d’environ 1,6 million sous réserve que la ville honore sa promesse).

Dans un contexte singulier du droit alsacien mosellan, ce projet illustre une gestion en dehors du droit par des élus qui, par ailleurs, exigent des serments d’allégeance républicaine. D’autres exemples glanés en Alsace Moselle ou en Vieille France montrent un usage léonin du permis de construire, une manipulation des documents d’urbanisme, un exercice irrégulier du droit de préemption, des pressions sur les modalités de financement, une intervention dans les affaires mêmes du culte.

A l’heure actuelle, plusieurs dizaines de projets dénotent que l’islam des caves est révolu ; la nécessité de répondre à la revendication cultuelle est inscrite à l’agenda municipal de nombreuses villes, en témoigne le récent rapport du FASILD. La construction des mosquées n’est plus un tabou pour reprendre l’expression de Xavier TERNISIEN y compris en Alsace où 3 lieux de culte viennent d’être construits à Mulhouse (PS) et à Colmar (UMP).

Mais, l’exception au droit dans laquelle se situent beaucoup de projets n’est qu’un droit d’exception dont le défaut est moins celui de rendre difficile la construction de lieux de culte que de tenir ceux qui les portent dans une infériorité qui renvoie à une histoire qui se refuse à passer et pérennise une discrimination aux antipodes des principes républicains. Avant d’envisager la modification de la loi ou, localement, l’émergence d’un islam concordataire improbable, ne faudrait-il pas déjà s’interroger sur la nécessité pour les élus d’appliquer le droit ?

(*) : Istvan BIBO, misère des petits Etats d’Europe de l’Est, l’Harmattan, 1986 : « qu’est-ce que l’hystérie politique ? Soit une communauté confrontée à une situation ou à un problème difficiles, qui mettent profondément en cause, sinon son existence, du moins sa manière d’être et la représentation qu’elle se donne d’elle-même. Si elle ne trouve pas en son sein, les moyens nécessaires pour transformer cette situation, ou résoudre ce problème, si, en conséquence, elle se sent menacé et impuissante, elle peut être tentée par une conduite de fuite. De la situation réelle, elle va se fabriquer une image déformée et fantasmatique ; au problème réel dont elle ne vient pas à bout, elle va substituer un problème fictif, imaginaire, construit de telle sorte qu’il puisse être traité avec les seules ressources du discours et par le maniement des symboles. La communauté peut ainsi, à bon compte se donner le sentiment qu’elle a vaincu la difficulté et recommencer à vivre comme avant ».

Post scriptum :

Avatar de dernière minute : le chantier de construction a été stoppé le jour même du démarrage. L’inspection du travail considère que les réglementations de sécurité ne sont pas respectées quant à la communauté urbaine, contrairement à sa promesse, elle n’avait pas encore trouvé (semaine 39) le moyen d’alimenter le chantier en eau alors que la canalisation longe la limite du terrain. Manifestement, la Mosquée de l’impasse du mai, maître d’ouvrage rencontre des difficultés d’autant que son maître d’ouvrage déléguée, la SERS, présidée par le maire de Strasbourg souhaite, au moment où la construction commence, abandonner ses responsabilités.

Que de coïncidences ! En fait, sans le dire, la ville pratique un art consommé du lacet ottoman pour donner l’impression que les difficultés ne relèvent que des associations musulmanes alors qu’aujourd’hui son engagement pour le financement n’est toujours pas acté depuis plus de quatre ans. Hier, c’était la gestion sécuritaire de l’islam avec des imams sommés de réduire les violences urbaines ; aujourd’hui, la ville cherche à démontrer qu’elle respecte sa parole. Si les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, il est à parier qu’à l’approche de la période électorale, le tandem Keller Grossmann ne veut pas apparaître comme favorisant la construction d’un lieu de culte musulman. En 2001, au second tour, pas une voix d’extrême droite n’avait manqué au tandem.

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