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La démocratie : la plus redoutable des armes

1- Une guerre ’juste’ et ’justifiée’ !

En dépit des vives protestations des opinions publiques manifestant, à l’échelle mondiale, leur refus d’une nouvelle guerre contre l’Irak, sans mandat de l’ONU, les Etats Unis et la Grande Bretagne ont lancé, il y a un an, l’offensive contre l’Irak au mépris de tous les accords internationaux et en flagrant délit au regard du droit international. Cette agression a été le résultat d’un nouveau et dangereux concept que l’administration Bush a appelé “la guerre préventive”. Adopté au lendemain des attentats du 11 Septembre, ce concept vise à attaquer le ’mal’ avant que ce mal n’attaque. Ici le mal a été un petit pays affaiblit par deux guerres des plus féroces et meurtrières des temps modernes, un peuple affamé et appauvrit par 13 ans d’embargo. Contre ce “nain”, la première hyper-puissance mondiale a déployé une partie importante de ses forces terrestres et ses armes les plus sophistiquées. Le coût du budget militaire pour la guerre et l’occupation qui s’en est suivie : environ 390 milliards de dollars (1), c’est à dire l’équivalent du produit intérieur brut des 48 Etats Africains réunis, soit l’équivalent de la richesse d’environ 700 millions d’êtres humains !

Lors de la période précédant la guerre, les arguments évoqués par le Président Bush pour justifier l’invasion de l’Irak, changeaient de jour en jour et devenaient de plus en plus ridicules. Au début il s’agissait de l’implication de l’Irak dans les attentats du 11 septembre et du soutien qu’accorderait Bagdad à la nébuleuse terroriste Alkaeda. Ensuite, il y a eu un glissement vers le mythe des armes de destruction massive détenues par l’Irak et qui représentaient, selon Bush, une menace pour le monde entier ! Souffrant d’un manque de preuves pour étayer ces deux accusations, Bush commença alors à évoquer l’absence de démocratie en Irak et les souffrances endurées par le peuple irakien à cause de son dictateur sanguinaire comme l’argument infaillible légitimant sa campagne guerrière. La guerre contre l’Irak est devenue une guerre pour la libération du peuple Irakien ! Derrière le changement incessant de versions, derrière le manque de preuves ou simplement de bon sens des arguments évoqués, se cachait très certainement une volonté solide d’atteindre un objectif tracé d’avance depuis des années (2), quitte à se ridiculiser politiquement devant le monde entier. Dans une logique dénuée d’arguments probant, où le manque de justifications devient lui même justification, le monde entier a ouvert les yeux sur une nouvelle ère, inauguré par un président se définissant lui même comme investit d’une mission divine (3), où les guerres sont déclenchées de manière préventive. Pour la majorité des américains, victimes d’un arsenal médiatique à la solde du pouvoir, cette intervention était juste et justifiée. En effet, juste avant le conflit, plus de 70 % d’américains disaient approuver la guerre contre l’Irak. Qu’en est-il un an plus tard ? Aucune arme prohibée n’a été trouvée en Irak. Des experts en armement, des responsables gouvernementaux britanniques et américains en sont formels. Au moment de son invasion il y a un an, l’Irak ne détenait plus d’armes de destruction massives et ne représentait aucune menace pour aucun pays voisin. Bush a donc délibérément mentit en affirmant qu’il était en possession de rapports de ses services secrets prouvant l’existence de telles armes en Irak. Pour sauver la face, Bush ordonna une enquête pour clarifier la responsabilité de la CIA dans l’exagération du dossier des armes irakiens (4) ! En considérant ces faits, on est en mesure de se demander si on peut encore faire confiance aux responsables de l’administration Bush concernant une quelconque affaire, y compris celle des attentats du 11 Septembre. Mais les responsables de l’administration Bush peuvent tout justifier, même le mensonge ! Le faucon des faucons M. Donald Rumsfeld ne se plaît-il pas à déclarer en citant Winston Churchill « La vérité est trop précieuse pour qu’elle ne soit pas protégée par un cortège de mensonges ».

2- Saddam était-il un dictateur « pas comme les autres » ?

Pourquoi Saddam était devenu subitement, aux yeux des médias et de l’opinion publique américaine et européenne, le grand ’méchant’ dictateur depuis 1990 alors qu’il l’était déjà bien avant ? Pourquoi les médias occidentaux n’ont pas relayé les massacres perpétrés par la garde républicaine de Saddam sur les populations civiles qui se sont insurgées en 1991 à la demande du Président Bush père ? Saddam était un dictateur de la pire espèce, et d’ailleurs il n’était pas le seul dans cette région ni dans le monde. Hafez Al assad, ancien président de la Syrie, était un dictateur sanguinaire qui peut rivaliser aisément avec Saddam. En 1982, Al assad a fait encercler la ville insurgée de Hama par des chars et donné ses ordres pour qu’elle soit bombardée pendant plusieurs semaines par l’artillerie lourde, tuant plus de 20.000 civils. Il a ensuite ordonné que la ville ne soit pas reconstruite afin de servir d’exemple à d’éventuels opposants à son régime ! Le général Pinochet, placé au pouvoir grâce à l’aide des services secrets américains a massacré et a commis des crimes pendant des dizaines d’années sans que cela ne dérange personne. Le général Suharto a liquidé environ un demi million d’indonésiens communistes avec la bénédiction de l’administration américaine de l’époque (5). Mobutu à volé les biens de son pays pendant des années en liquidant tout opposant à son régime. Les présidents Nasser et Moubarak ont fait torturer et assassiner des milliers d’activistes opposants au régime. Les bédouins tribaux et archaïques, au pouvoir en Arabie saoudite et au Koweït, règnent sans partage et liquident sans hésitation tout opposant politique et ce avec la généreuse aide des services secrets américains. En quoi Saddam était si différent de ceux-là ou d’autres dictateurs ? Certes, Saddam était un dictateur sanguinaire qui doit être jugé pour tous les crimes qu’il a commis, faudrait-il encore juger ses complices et tous les autres dictateurs du monde. Saddam, était pourtant, semble-t-il, un dictateur “pas comme les autres”.

Quelques rappels historiques s’imposent. Saddam a gouverné un pays qui possède la deuxième réserve pétrolière mondiale. Il faut aussi rappeler que l’Irak est le voisin immédiat d’un pays où une révolution populaire a conduit au pouvoir, en 1979, un régime s’inspirant directement de la religion musulmane, à savoir l’Iran, pays à grande majorité de musulmans chiites. Après la révolution, les iraniens ont évolué vers une pratique démocratique, certes encore fort critiquable et imparfaite mais qui n’a rien à voir avec les régimes tribaux de la région. L’Irak étant un pays à majorité chiite, le risque était significatif pour voir cette révolution iranienne s’exporter en Irak. Saddam a pris le pouvoir en 1979. Et déjà en 1980, il déclara la guerre à l’Iran, plongeant le pays dans un conflit meurtrier qui dura 8 années. Ce fut la première grande erreur ou plutôt le premier crime contre l’humanité de Saddam. Cette guerre causa la mort d’environ 1 million de personnes des deux cotés. Et comme si cela n’avait pas suffit, a peine deux ans après la fin de cette première guerre, il envahit le Koweït, son voisin du sud. Saddam, était devenu visiblement un accro de la guerre et croyait que tout différend se réglait par les canons.

Ces erreurs répétées démontrent que nous avons affaire à un homme dépourvu de tout bon sens politique. D’ailleurs, Saddam est le seul dirigeant du monde, avec Kaddafi, à avoir félicité les putschistes militaires de la Russie contre Gorbachev en 1991 alors que le monde entier savait que ce putsch était voué d’avance à l’échec. Les dictateurs n’ont souvent pas une politique intérieure digne de ce nom car ils estiment simplement qu’ils n’en ont pas besoin. Dans une dictature, les gens font ce qu’on leur dit ou ils se retrouvent en prison ou dans un cercueil. Il est inutile donc, pour les dictateurs, de discuter ou de se concerter, de partager le pouvoir hormis avec quelques fidèles souvent de leur propre famille. En matière de politique extérieur, la tâche des dictateurs est plus dure. Il faut qu’ils préservent leurs images de bons dirigeants du peuple au yeux du reste du monde. Il n’est pas en effet simple d’être dictateur chez soi et de donner une image du bon dirigeant et représentant du peuple à l’extérieur. Les dictateurs doivent donc passer par l’exercice difficile de faire ce qu’ils veulent à l’intérieur, et de se plier aux règles du jeu international à l’extérieur. Une sorte de double personnalité doit régir leur vie et leurs décisions. Cela ne doit pas être simple pour des hommes habitués à définir eux même les règles du jeu. Ils doivent probablement ressentir de grandes frustrations et maîtriser leurs pulsions de dictateurs chaque fois qu’ils ont affaire à un problème d’ordre extérieur.

Saddam a-t-il réussit ce dur exercice ? L’histoire montre que la réponse est plutôt négative. Saddam n’a pas pu maîtriser ses pulsions de maître absolu lorsque le Koweït l’a provoqué 1990. Il n’a pas pris en compte, en commettant cette erreur fatale, les facteurs externes et les remaniements que le monde subissait en cette période. Il n’a pas vu le danger de la superpuissance unique surgir. Il a appliqué la même approche pour traiter un différend avec un pays voisin souverain que ce qu’il aurait fait avec un opposant politique interne : la liquidation immédiate. Seulement, il a oublié qu’à l’extérieur se sont les règles de jeu international qui sont d’application, du moins lorsque les maîtres du monde le souhaitent. Les Etats Unis n’ont pas raté cette occasion surtout que cette erreur de Saddam coïncidaient avec le démantèlement du bloc de l’est et la fin de la guerre froide. Cette erreur entraîna l’Irak dans une guerre sanglante connue depuis comme la première guerre du golf.

Saddam était donc un dictateur différent car il a oublié qu’à l’extérieur, il fallait utiliser sa deuxième personnalité de démocrate respectant le droit international. Et pourtant, Saddam avait tout de même fini par comprendre cela, même s’il était trop tard. Depuis, 1990, il s’est soumis aux inspections de l’ONU, collaboré suffisamment avec cette institution pour laisser croire qu’il s’est racheté définitivement de ses péchés du passé. L’ironie de cette histoire est que 13 ans plus tard, l’Irak revit le même drame, également à cause d’une attitude dictatoriale, mais cette fois-ci ce n’est pas celle de Saddam, c’est celle du fils de son ancien bourreau, Bush fils, président des Etats Unis. Cette fois ci la situation s’inverse. Nous avons affaire à un président élu dans son pays de manière démocratique, même s’il on parla du président le plus mal élu de toute l’histoire des Etats Unis. Bush fait parti d’un système démocratique où le peuple choisit ses dirigeants qui doivent dès lors respecter la constitution et les institutions du pays. Qu’en est-il sur le plan extérieur ? Bush fils, fort du soutien du monde pour sa guerre contre le terrorisme, surtout après le 11 Septembre, a décidé de faire la guerre à l’Irak. Il a demandé l’aval de l’Organisation des Nations Unies, mais celle ci n’a pas soutenu sa démarche. La majorité des pays ont estimé qu’il n’y avait aucune raison à mener une guerre contre l’Irak, qui collabore de manière satisfaisante avec l’ONU. Bush, mécontent de cette décision, a décidé donc de faire la guerre envers et contre tout droit international. N’est-ce pas là une attitude dictatoriale ? Ce n’est pas une dictature classique car notre dictateur est un démocrate à l’intérieur de son pays, mais il se conduit comme un vrai dictateur à l’extérieur. Nous pouvons à la limite comprendre qu’un despote habitué a régner chez lui en maître absolu pendant des dizaines d’années ne contrôle pas ses pulsions dictatoriales lorsqu’il s’agit de régler un différend avec son voisin. Comment comprendre que le président des Etats Unis, représentant de la nation américaine où la démocratie est établie depuis plusieurs siècles, modèle de liberté dans le monde entier, se comporte comme un vrai dictateur lorsqu’il s’agit du sort d’un autre peuple. Et cela fonctionne. Les Etats Unis ne risquent probablement pas de voir une coalition mondiale se dresser contre eux. Est-ce parce que c’est la nation la plus puissante ? Est-ce parce qu’il est plus difficile de s’attaquer à un régime élu démocratiquement ? Bush utilise donc le bouclier inébranlable de la démocratie et du soutien démocratique de son peuple pour mener une dictature implacable au monde entier.

3- Une guerre ’propre’

Lors de plusieurs émissions télévisées, précédant le déclenchement des opérations et au début de celles ci, des analystes et stratèges militaires ont discuté de l’opportunité d’un siège de Bagdad par les forces alliées. On aurait pu croire qu’il s’agissait d’un cours théorique sur les stratégies militaires du Moyen Age. Le siège d’une ville d’environ 5 millions d’habitants au 21 ème siècle avait donc été évoqué et discuté ’naturellement’, comme une stratégie militaire valable en notre temps, sachant que des centaines de milliers de civils pouvaient probablement et même sûrement périr suite à la pénurie en nourriture et médicaments, des épidémies et des bombes. La dernière fois qu’une telle stratégie a été appliquée remonte à la seconde guerre mondiale lorsque les Russes avaient encerclé et isolé les troupes allemandes à Stalingrad, mais là il s’agissait de forces militaires uniquement. La stratégie du siège visant évidemment à affaiblir les forces militaires assiégées, il ne faut pas beaucoup de clairvoyance pour comprendre que des centaines de milliers de civils risquent de périr avant que les militaires ne soient affectés. Heureusement, ou malheureusement, Bagdad est tombé assez rapidement.

L’opération militaire, baptisé “choque et effroi”, a été conçue de manière à subir le moins de pertes possibles dans les rangs des soldats alliés. Cela impliquait, en partie, le bombardement massif des villes. Bien sûr, l’opinion mondiale devait croire au mythe des frappes chirurgicales décrites par les militaires américains permettant de minimiser les massacres de populations civiles. Les alliés ont donc bombardé pendant des semaines les grandes villes irakiennes en les privant d’eau et d’électricité. A vrai dire, cela n’était pas vraiment une stratégie purement militaire mais aussi politique. Les responsables militaires savaient bien que pour affronter un ennemi au sol, de surcroît dans des villes, des pertes considérables en soldats doivent être tolérées. Le souci majeure des décideurs politiques de l’administration Bush était l’opinion publique américaine. Ces décideurs politiques étaient moins ’gênés’ par les centaines de milliers de morts civils Irakiens que par la mort d’un nombre important de leurs soldats. Les alliés ont donc à lâché sur Bagdad, et d’autres grandes villes irakiennes, des milliers de bombes et missiles et parlaient en même temps de guerre propre. C’était une guerre propre, même très propre, mais pas pour les civils irakiens (à défaut d’une estimation précise, le chiffre d’environ 10,000 victimes civiles a été rapporté (6)). Elle a été propre pour les soldats américains et britanniques, pour qui il a été plus facile de larguer des bombes et des missiles quitte à massacrer des milliers de civils, assiéger pour affamer et assoiffer les populations, avant d’arriver dans les villes. La guerre propre consiste donc à éliminer les forces ennemis au sol par des bombardements d’une intensité jamais vu dans l’histoire avant de lancer une offensive terrestre qui devient dès lors une promenade un peu mouvementé, pas plus risqué que des exercices destinés à maintenir les soldats en forme.

Est ce que ce déluge de feu était, militairement parlant, nécessaire et justifié pour atteindre le but présumé qui était de détruire les centres de commandement, de communications et de défenses irakiens. Il est malheureusement difficile voir impossible de répondre à cette question étant donné le secret qui entourait les opérations militaires. Ce qui est par contre clair c’est que chaque missile tiré, chaque bombe larguée a contribué à enrichir un peu plus le lobby militaro-industriel, fournisseur de l’armée américaine et ses alliés. Et pour ainsi dire, tout le monde y trouva son compte, les commerçants d’armes s’enrichirent d’avantage, des emplois furent crées pour fabriquer plus de bombes, le déluge de feu limita fortement les pertes humaines en soldats américains, les chefs militaires ont pu chanter leur victoire en parlant d’un nouveau concept de guerre moderne et l’administration américaine dansa sur le rythme des déflagrations en parlant d’une guerre propre. Dans ce schéma ressemblant d’avantage à un film hollywoodien, il y a un seul hic : ce sont les civils irakiens. Eux, à chaque explosion chantaient encore plus fort pour que leur enfants effrayés n’entendent plus les explosions et attendaient sans dérision la fin de cette guerre dite propre, si propre que le sang des victimes civiles et innocentes perdu sa couleur rouge, devint transparent et se volatilisa juste avant le passage des caméras des médias américains.

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4- Guerre sémantique.

L’administration américaine a souvent présenté cette guerre comme étant dirigée contre Saddam comme si l’Irak se résumait à la seule personne de Saddam. Dans les média, à travers les déclarations des officiels et des moins officiels, on entendait toujours cette même phrase répétée interminablement : ’On fait la guerre contre Saddam’ ou au mieux ’contre le régime de Saddam’. Mais peut-on mener une guerre contre tout un peuple à cause d’une personne ? Les expressions souvent utilisées, du style : ’Saddam est un fou, nous allons l’arrêter, Saddam est dangereux, il faut le désarmer, Saddam menace l’ordre et la stabilité du monde, il faut s’en débarrasser…’ ne cachaient-elles pas une autre volonté plus choquante ? Cette manœuvre ’sémantique’, n’était-elle pas une autre guerre qui s’ajoutait aux guerres médiatique, psychologique et militaire ? Lorsque la vie d’innocents devient des ’dégâts collatéraux’, lorsqu’un déluge de feu aveugle, meurtrier et destructeur, des milliers de missiles s’abattent sur la ville pendant une seule nuit devient ’le déclenchement des opérations militaires par des frappes chirurgicales’. Lorsque des millions d’êtres humains, privés d’eau et de nourriture, affamés, est décrit comme étant une ’stratégie visant à accélérer la chute du régime’. Lorsque la barbarie, la sauvagerie au-delà de tout ce que peut imaginer un être humain prend la forme de mots et de phrases techniques, propres et doux. Lorsque tout cela devient possible et tolérable sous couvert de mots peu choquant il ne subsiste qu’une seule explication pour comprendre cette attitude : la vie des civils irakiens n’a pas beaucoup de valeur aux yeux des hommes au pouvoir à Washington..

Les expressions utilisées au lendemain des attentats du 11 septembre étaient fort différentes. « C’est l’horreur, c’est la barbarie, c’est un acte de sauvagerie inhumain sans précédent dans l’Histoire… » sont quelques exemples de phrases qui revenaient assez souvent dans les déclarations que ce soit par des chefs d’états, des responsables politiques, des intellectuels, des journalistes. Des messes, des prières, des veillées étaient organisées dans le monde entier par les chrétiens, par les musulmans, par les juifs. Soyons clair, ces phrases n’étaient probablement pas suffisantes pour décrire ce qui s’est passé car la tuerie aveugle de femmes et hommes innocents est inqualifiable. Ces prières et émotions n’étaient pas suffisantes pour refléter l’état d’âme de l’humanité entière devant ces terribles attentats et tout être humain ne peut prétendre le contraire. Par contre, lors de la réaction des politiques, chefs d’états et journalistes suite au massacre des populations civiles par les bombardements en Irak, les mots utilisés étaient d’une autre nature. On parla d’intensification des frappes aériennes, de missiles ayant raté leur cibles et tombés par erreur sur un quartier résidentiel ou marché causant la mort de plusieurs dizaines de civils. Comme s’il fallait excuser le missile tombé là sans ’faire exprès’. Comme si les stratèges militaires et décideurs politiques américains ne pouvaient le prévoir. Jamais on a entendu de la part d’un chef d’état ou d’un responsable politique une description aussi horrifiée et scandalisée que celle du lendemain du 11 septembre. Les milieux officiels du monde entier n’ont pas fait état d’émotion sur la mort des irakiens démunis et affamés comme ils l’ont fait pour les américains victimes des attentats contre les deux tours du WTC de New-York. Pourquoi n’ont-ils pas dit : « nous sommes tous irakiens » comme ils ont dit « nous sommes tous américains ». Et pourtant dans les deux cas, ce sont des victimes innocentes qui sont concernées. Onen parla comme si c’était normal. Après tout, c’est la guerre. Non, ce n’était pas une guerre. C’était un massacre. La guerre est un combat entre deux armées plus ou moins équilibrées. Ce qui s’est passé en Irak est un massacre pur est simple. Et ce qui est plus terrifiant, c’est que des hommes se prétendant des démocrates et donnant des leçons de démocratie au monde entier ne trouvaient plus le courage et les mots pour dénoncer cette barbarie avec force et énergie. Qu’ils n’ont eu aucun mal d’ailleurs à trouver en d’autres circonstances.

5- Le sursaut brutal des arabes

Pour les populations des pays arabes, cette guerre, si elle a été si atroce et impitoyable pour les Irakiens, elle est peut être le début de la fin des systèmes arabes actuels. Chaque déflagration de bombe en Irak, a fait trembler un peu plus les chaises en or des dirigeants à vie du monde arabe. Chaque enfant massacré a Bagdad devenait un cauchemar hantant leur nuit et leur plus profond sommeil. Qui aurait, parmi les arabes, imaginé un jour qu’un peuple représentant le berceau de la civilisation humaine et arabo-musulmane serait agressé de la sorte sans qu’il y ait la moindre réaction de la part des dirigeantes arabes. Cette guerre deviendrait à long terme un facteur de déstabilisation important des régimes arabes car elle montre et met à nu d’une manière éclatante, aux yeux des populations, la lâcheté de ces régimes. Le silence des dirigeants montre leur complicité avec les envahisseurs et discrédite leur légitimité au plus profond. Pour n’importe quel citoyen des pays arabes, il fut inconcevable que le peuple irakien puisse se faire attaquer si brutalement sans qu’il n y ait de réaction. L’Irak est aujourd’hui tout simplement sous occupation même si les formules utilisées, aussi bien par les occupants que par les media, tentent de présenter cette réalité autrement. L’homme de la rue fait souvent des raisonnements très simples mais qui peuvent s’avérer d’une logique implacable. « Pourquoi nos dirigeants ne font rien pour libérer l’Irak ? C’est qu’ils sont donc de connivence avec les envahisseurs. ».

La colère des masses a été grande surtout que les images violentes transmises par les chaînes télévisées d’Aljazeera et autres étaient répétitives et bien réelles. Les chaînes satellitaires et les réseaux internet, ont facilité la diffusion des événements et images. Fini le temps où les régimes arabes contrôlaient les chaînes d’informations nationales et programmaient la quasi totalité de leur émission avec leurs activités ’politiques’ et même avec leurs distractions personnelles : le Roi a reçu tel, le ’Raiss’ a déjeuné avec tel, l’Emir a envoyé ses félicitations à tel, le Roi a fait une partie de golf.. La technologie moderne, ironie du sort, venant des pays occidentaux qui ont tant soutenu ces dictatures, creuse peu à peu la tombe des systèmes totalitaires arabes. Mais il n’y a pas que la rue qui menace ces régimes. La superpuissance planétaire unique peut maintenant décider à n’importe quel moment de faire la guerre à un régime et de le remplacer si nécessaire. Et on peut se demander pourquoi il a été si facile pour les américains d’envahir l’Irak. Il est vrai que l’armée irakienne était déjà affaiblie, mal équipée peu entretenue. Il est vrai que les moyens technologiques dont disposaient les américains et leur alliées surpassaient de loin ceux des irakiens. Mais est-ce l’unique raison de la défaite rapide de l’armée irakienne et de la chute du régime de Bagdad et à sa tête Saddam ? Je ne pense pas que les raisons principales de cette défaite militaire soient liées au fossé technologique séparant les deux armées. La raison principale se résume à mon avis en un mot, le mot magique, la force inébranlable, le seul argument pour lequel on peut dire que l’administration Bush n’a pas menti, c’est tout simplement la démocratie ou plutôt l’absence de démocratie. Imaginez un peuple irakien uni autour d’un chef d’état, élu démocratiquement, aimé par tout le peuple, croyez-vous qu’une force quelque soit sa puissance puisse l’ébranler si facilement ? C’est l’absence de démocratie, ce mal là, ce cancer, cette épidémie contagieuse de plus en plus spécifique des peuples arabes qui a rendu l’Irak si vulnérable à l’appétit féroce d’une puissance guidé actuellement par l’un des plus grand fanatique de la terre, mais qui bénéficie du privilège de la démocratie : George W. Bush a été choisit par son peuple mais pas Saddam Hussein.

A qui sera le tour après l’Irak : la Syrie, la Lybie, la Jordanie, l’Iran ? Personne ne peut dire. Les amis d’aujourd’hui peuvent devenir les ennemis de demain. Les Etats Unis peuvent décider un beau jour qu’un tel pays menace l’ordre et la stabilité de la région, ou à défaut de cela, trouveront bien un autre prétexte. Et ils peuvent envahir un autre pays comme ils l’ont fait avec l’Irak, c’est une question de temps. Les peuples arabes ont donc le choix entre soit attendre que leurs régimes soient un beau jour changé par les américains mais à quel prix, soit prendre les devants et le faire eux-mêmes. Mais dans les deux cas le prix à payer sera fort, c’est le prix de la démocratie, de la liberté. Car ni l’une ni l’autre ne s’exporte à coup de canons mais s’obtient par des sacrifices et une volonté émanante du peuple et non de l’étranger.

Mais les régimes arabes peuvent choisir l’option de devenir de plus en plus dociles et obéissant au grand maître. Les récentes gesticulations du maître de la Lybie, qui promit sans conditions d’abandonner tout programme nucléaire, en sont un exemple porteur d’enseignements. Les dirigeants à vie peuvent décider de faire de plus en plus de concessions afin de troquer leur pérennité contre une assurance des intérêts de la grande puissance. Cependant, ils auront de plus en plus de mal à sauver leur face. Car jusqu’à maintenant, ils ont toujours réussi, au terme de négociations et de concessions à faire croire à leurs peuples qu’ils ont leur mot à dire et ce évidemment avec la complicité des puissances extérieures. Après l’Irak, et avec le nouvel ordre mondial, ce petit jeu qui a assez duré et qui a bien fonctionné et permit de sauvegarder l’amour propre des dirigeants arabes deviendra de plus en plus difficile.

L’arrestation humiliante de Saddam, diffusée par les télévisions du monde entier, a contribué davantage à ébranler les régimes pourrissant arabes. Pour la première fois, des millions de spectateurs ont pu voir le dictateur sanguinaire d’hier, l’homme qui régnait sans partage, le despote devant qui on s’inclinait et on se mettait à genoux, cette homme là a été traîné dans la boue, arrêté par quelques soldats comme un vulgaire criminel et inspecté par un médecin comme une bête de somme malade. Personne n’en croyait ses yeux, c’est bien cet homme qui terrorisa 30 millions d’êtres humains de sa propre nation et qui entraîna dans une guerre féroce son pays pendant plus de 8 ans contre un peuple voisin. Soyons clair ce dictateur sanguinaire mérite d’être jugé sans équivoque et doit payer pour ses crimes. Nous parlons ici de l’effet d’humiliation ressentit par les millions d’arabes car Saddam était malgré tout un chef d’état, un dirigeant arabe. Cet effet peut rapidement évoluer vers une perception tout à fait nouvelle des chefs d’états arabes par leur populations. En effet, dans l’imaginaire collectif des masses, toutes les nations arabes pouvaient apercevoir en Saddam humilié leur propre bourreau. Les masses arabes, pour la première fois, pouvaient réaliser à quel points leurs despotes peuvent être vulnérables et peuvent devenir du jour au lendemain comme n’importe quel vulgaire criminel, arrêté et jugé ? Même si cela est peu probable dans l’immédiat, l’important est que cela est devenu possible.

Références :

(1) War with Iraq Costs, Consequences, and Alternatives. William D. Nordhaus. American Academy of Arts and Sciences, 2002.
(2) La guerre des Bush. Eric Laurent. Plon, Janvier 2003.
(3) Le monde secret de Bush. Eric Laurent. Plon, Mai 2003.
(4) ’Intelligence inquiry’. ’International Herald Tribune’, 04 février 2004.
(5) Timor-Oriental, l’horreur et l’amnésie. Noam Chomsky. Le Monde Diplomatique, octobre 1999.
(6) http://www.iraqbodycount.net

 

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