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Islam et historiographie française : la construction d’une image

Depuis toujours notre imaginaire occidental s’est fondé sur une construction de l’Islam et une histoire où cette religion apparaissait comme en dehors de toute historicité. Si on parle d’essentialisation de l’Islam, aujourd’hui, il faut aussi parler d’historicisation. Conséquence de cette non approche de l’histoire, aujourd’hui encore, le débat sur l’Islam entraîne les réactions les plus passionnées. Particulièrement en France où pourtant, depuis Charlemagne ou François Ier, la dimension de l’Islam est souvent apparue comme solution diplomatique, ou également avec l’école orientaliste, qui, particulièrement après Massignon, a permis de produire des études plus que pertinentes sur l’Islam.

Mais il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, le déni d’historicité constaté dans l’enseignement de l’Histoire aussi bien dans les collèges lycées que dans les Universités en France, entretient la méconnaissance du fait musulman et par conséquent la peur de l’Islam. Comment un pays qui a entretenu des relations aussi étroites avec le monde musulman, développé des connaissances sur l’Islam de grande qualité en vienne à développer une historiographie élaborée sur un rejet, certes inconscient, de l’Islam ?

Pour comprendre cette construction historiographique, il faut l’aborder autour de trois thèmes, d’abord ce que certains historiens ont appelé la déchirure méditerranéenne, où l’islam est vite apparu comme intrus au sein de cet espace, ce qui a sans doute amené a le considérer en dehors de la science historique, permettant ainsi, le passage de l’orientalisme classique à la géopolitique, enfin, les combats de la III ème République et l’anticléricalisme ont sans doute débouché sur une hostilité à l’égard de l’Islam ou du moins une méfiance, affirmant de manière parfois passionnée une certaine laïcité de combat, en tout cas à considérer l’Islam comme un contre pouvoir semblable à ce que fut le catholicisme avant 1905.

On connaît la conférence de Renan sur l’Islam donnée le 23 mai 1883 à la Sorbonne et intitulée L’islamisme et la science, il y décrivait l’Islam comme contraire au progrès : l’épée de Mahomet et le Coran sont les ennemis les plus obstinés de la civilisation, de la liberté et de la vérité que le monde ait déjà connu. Mais au niveau de l’Histoire, Henri Pirenne est le premier dans Mahomet et Charlemagne, écrit en 1937, qui évoque la déchirure que provoque l’Islam dans cet espace méditerranéen, berceau des civilisations : « La Méditerranée occidentale, devenue un lac musulman, cesse d’être la voie des échanges et des idées qu’elle n’avait cessé d’être jusqu’alors (…) Une déchirure de fait qui durera jusqu’à nos jours »[1].

Même le grand Fernand Braudel n’échappe pas à ce constat, dans La Méditerranée. L’espace et l’Histoire, il évoque le morcellement en trois parties distinctes : l’Islam, l’orthodoxie byzantine et l’Occident chrétien, qui encore aujourd’hui constitue l’approche historique des programmes de seconde au lycée. On pouvait lire ainsi chez Braudel : « La Méditerranée, au delà de ses divisions politiques actuelles, c’est trois communautés culturelles, trois énormes et vivaces civilisations, trois façons cardinales de penser, de croire, de manger, de boire, de vivre. En vérité trois monstres toujours prêts à montrer les dents, trois personnages à interminables destins (…) Elles traversent le temps. Elles triomphent de la durée. Tandis que tourne le film de l’Histoire, elles restent en place imperturbables (…) Où elles étaient au temps de César ou d’Auguste, elles sont encore au temps de Mustapha Kemal ou du Colonel Nasser. Immobiles dans l’espace et dans le temps- ou quasi immobiles (…). Les civilisations, c’est donc la guerre, la haine, un immense pan d’ombre les mange presque à moitié. La haine, elles la fabriquent, s’en nourrissent en vivent ». Braudel ajoute plus loin, que L’Islam vis à vis de l’Occident, c’est le chat vis à vis du chien. On pourrait dire un Contre Occident, avec les ambiguïtés que comporte toute opposition profonde qui est à la fois rivalité, hostilité et emprunt…Il est à lui seul, l’ « autre » Méditerranée, la contre Méditerranée prolongée par le désert[2].

Bien entendu, de nombreuses thèses sont venues depuis, remettre en question cette vision historique, mais il convient de constater que Pirenne et Braudel ont permis mettre en place des frontières plus que culturelles au sein de la Méditerranée. En effet, dans sa thèse sur La Méditerranée au temps de Philippe II, Braudel, évoque les invasions arabes et turques comme Les deux coupures béantes dans l’histoire de la Méditerranée, il y opère un découpage culturel qui place l’Islam aux portes de l’Occident : L’Islam c’est le Proche Orient. Ce qui lui ajoute une quantité fabuleuse d’héritages et donc de siècles. Il s’agit ici, d’abord d’exclure l’Islam de notre monde occidental, mais en plus de le placer comme le résultat d’un autre héritage celui des Perses et des autres civilisations proche orientales, plutôt que des Byzantins et des Romains.

Bien entendu Braudel, ne nie pas les différents apports de la civilisation de l’Islam classique, mais pour lui la thèse de Pirenne fonctionne à l’inverse, car le réveil de la Chrétienté occidentale entraîne la fermeture de la Méditerranée à l’Islam, avec le XI ème siècle, La mer nourricière échappe alors à l’Islam, la célèbre théorie de l’Historien Henri Pirenne va jouer cette fois dans l’autre sens. Henri Pirenne pensait que, lors des conquêtes musulmanes, l’Occident, privé de la libre circulation en Méditerranée, s’est replié sur lui-même entre les VIIIéme et IX ème siècles. Or inversement au XI ème siècle, la Méditerranée se ferme à l’Islam et celui-ci se trouve gêné irrémédiablement dans son essor et sa respiration quotidienne[3].

L’historiographie française ne tourne pas le dos à la thèse de Pirenne, mais la déchirure méditerranéenne est cette fois analysée sous des effets plutôt positifs. Même Pierre Chaunu, historien de renom, protestant, avance le fait que la présence de l’Islam en Méditerranée fut d’ un effet bénéfique pour la Chrétienté occidentale : Henri Pirenne a quand même raison, la cassure entre Chrétienté et Islamité est extrêmement profonde(…) La chance de l’Europe c’est aussi la présence harcelante de l’Islam (…). En cassant les circuits d’échanges méditerranéens, en les obligeant à rebrousser sur la frontière Islam Chrétienté, la vieille rivalité contraint la Chrétienté à basculer vers le Nord, puis à l’Ouest et au sud, sur l’Océan[4].

Ainsi, comme le fait remarquer Jean Louis Triaud, professeur à l’Université de Provence, en brisant la Méditerranée, l’Islam a ainsi rempli la seule fonction historique qui lui est reconnue. Pour le reste, l’Histoire se détourne vers d’autres cieux, laissant le monde arabo-musulman et ottoman dans une situation de marginalité ou d’immobilité hors du temps, du seul temps qui compte, celui du progrès[5]. Cette déchirure méditerranéenne se retrouve dans le discours intellectuel contemporain, mais cette fois la déchirure s’affirme au niveau de l’Orient et de l’Occident.

Au moment de la constitution des disciplines, les études sur le monde arabo-musulman ont été rattachées à l’orientalisme, qui s’est mis à s’intéresser aux civilisations disparues.

La spécialité du monde arabo-musulman s’est donc faite dans le cadre de l’orientalisme. Celui-ci n’a donc pas été affilié à la science historique, pourtant la France s’est dotée très tôt de spécialistes de l’Islam comme Antoine Isaac de Sacy (1758-1838), professeur d’arabe aux langues orientales et professeur de persan au Collège de France, Etienne Quatremère (1782-1852), lui succéda à ce poste, Armand P. Caussin de Perceval (1795-1871) qui fut également professeur d’arabe au Collège de France et enfin Barbier de Meynard (1823-1908) qui enseigna le turc aux langues orientales et l’arabe au Collège de France. Tous ces spécialistes ont eu comme dénominateur commun d’ enseigner l’arabe au Collège de France et leurs réflexions ont essentiellement porté sur la philologie, illustrée par un discours savant et une production livresque.

L’étude des manuscrits ou des langues nécessitait un travail qui pouvait parfois dépasser le temps d’une vie, c’est la raison pour laquelle l’orientalisme savant s’est surtout consacré et presque uniquement à l’étude de la philologie. A ce sujet Maxime Rodinson, constatait que les efforts déployés par les orientalistes n’ont donné qu’un maigre résultat quant à la connaissance des sociétés musulmanes par les occidentaux. Il ajoute que quand il (l’orientalisme) entreprend de reconstituer l’Islam, sa pensée, sa civilisation et son histoire, il se fonde sur une vision occidentale pour les restituer[6].

Cependant, ni Louis Massignon, ni encore Jacques Berque ne furent considérés comme membres de la profession d’historien, l’exclusion de l’orientalisme en dehors de la discipline historique, n’a fait que renforcer la déchirure civilisationnelle qu’il fallait maintenant placer dans le clivage Orient Occident. En effet, l’orientalisme islamisant a amené à une division du monde en deux parties distinctes : d’un côté l’oriental et de l’autre l’occidental et comme le soulignait Edward Saïd : l’orientalisme islamisant exprime ses idées sur l’Islam de telle manière qu’il met en évidence sa propre résistance, ainsi que celle attribuée aux musulmans au changement, à la compréhension mutuelle entre l’Est et l’Ouest[7]. La précision des recherches en philologie, l’étude de civilisations disparues n’ont fait qu’accentuer le clivage avec les historiens, confinant les orientalistes dans une position d’initiés, d’expert dont les outils furent bien souvent étrangers à la science historique.

En 1987, Robert Ilbert, faisait remarquer dans L’Histoire du monde arabe et musulman[8] que cette histoire a autant de difficultés à se faire admettre à part entière dans le cursus universitaire que dans les lycées et collèges. Et sans doute pour les mêmes raisons : spécialisée, complexe, cette histoire fait appel à des connaissances trop originales pour être facilement intégrées dans le cursus normal des études historiques (…) Si les sections d’Histoire restent réticentes, c’est pour une bonne part parce que les recherches sur le monde arabe et musulman sont de plus en plus inaccessibles à ceux qui ne disposent pas des bases.

L’historien Claude Liauzu, proposait, il y a quelques années, des Jalons pour un état des lieux[9] concernant la production des savoirs sur le monde arabo-musulman, il notait qu’en 1987 sur 109 modernistes et contemporanéistes du CNRS, un seul est spécialiste du monde musulman et que entre 1965 et 1979, 71 doctorats d’Etat ont été soutenus en histoire du monde musulman, soit 4,6 par an, et un peu moins de 10 % du total des doctorats, puis il ajoute que les conditions sociologiques et institutionnelles d’une accumulation scientifique et d’une reproduction du métier ne sont elles pas assurées.

Même chez des auteurs du monde arabo-musulman, la scission idéologique s’est produite en réaction à cette coupure disciplinaire. La critique de l’orientalisme savant à la fin des années 1970, avec particulièrement la thèse d’Edward Saïd, n’a fait qu’accentuer ce clivage, car il y dénonçait de façon unilatérale et mécanique tous les écrits de la tradition orientaliste européenne, en indiquant comment ils avaient été implicitement les meilleurs supports idéologiques de la conquête coloniale.

Cependant, lorsque Saïd construit cette opposition, il s’inspire du contexte du champ universitaire américain, sa théorie n’a donc pas de valeur universelle, puisqu’elle ne convient pas pour la France, le problème est que cette dénonciation confond le contexte et la théorie, Saïd se refuse à parler des intellectuels au pluriel, de définir une typologie, alors que lui-même accorde une importance particulière au fait que les cultures sont différentes et dépendantes du contexte historique.

Quoiqu’il en soit la conception que Saïd se fait de l’intellectuel correspond à des schémas purement occidentaux, une essentialisation particulièrement nette dans un de ses autres ouvrages majeurs, Des intellectuels et du pouvoir[10]. D’ailleurs, cette vision manichéenne, était critiquée dès 1980 dans un ouvrage collectif, D’un Orient à l’Autre, qui se voulait très critique vis à vis de la thèse de Saïd, perçue comme trop univoque et surtout comme ne tenant pas assez compte des stratégies des intellectuels dans les pays du tiers monde.

D’autres auteurs, encore, spécialistes de la question, parvenaient à éviter ce constat réfrigérant en affirmant que l’Occident n’était pas forcément synonyme d’impérialisme et que certains acquis occidentaux étaient incontournables, c’était le cas de Mohamed Arkoun et Louis Gardet, avec L’Islam hier, demain, Hichem Djaït qui publiait au Seuil, L’Europe et l’Islam, Maxime Rodinson avec la fascination de l’Islam ou encore Jean Paul Charnay qui publiait Les Contre Orients.

Une critique sévère que la revue Esprit tentait de relativiser, sous la plume d’Olivier Mongin : Pareille lecture ne pouvait que durcir les positions, instituer une véritable guerre froide : l’Orient d’un côté, l’Occident de l’autre. Façon de consonner avec le relativisme ambiant : chacun pour soi…on est revenu à la case ” départ” [11].Or l’Europe occidentale, insistait l’auteur, ne fut-elle pas une terre de croisement et la modernité ne s’est-elle pas constituée au contact de nombreuses civilisations ? Pour éviter de fixer l’histoire autour de la dualité Orient/l’Occident, Olivier Mongin insistait sur la nécessité de reconnaître le rôle de la civilisation musulmane dans l’édification de la modernité.

Cette critique de l’orientalisme traditionnelle a permis le développement de la science politique, qui en mettant en exergue de nouvelles méthodes sur l’analyse du monde arabo-musulman a également provoqué ce déni d’histoire, car la réflexion porte sur une globalisation des phénomènes et un rétrécissement au très contemporain. C’est le constat que faisait Olivier Roy dès 1985, lui même politologue au sein de la revue Esprit, il mettait en relief l’attitude de l’intellectuel face à l’actualité, le chercheur ne peut être que le traducteur ou le médiateur expliquant une situation complexe. Cependant, face au spectaculaire, la simplification et la réaction trop brutale sont tentantes.

Même l’institution universitaire s’est profondément modifiée en fonction de ces réalités, les thèses dit-il, se raccourcissent et sont moins suivies par les « patrons ». Publier et participer à des colloques ou à des émissions est devenu plus important que d’avoir tel ou tel poste d’enseignant. D’où une controverse : le chercheur ne choisit-il pas désormais son sujet non seulement par rapport à l’exploitation médiatique qui peut en être faite ? Explicitement visés sont ceux qui travaillent sur le monde musulman…N’y a t-il pas précisément contradiction entre le monde d’exposition des médias et celui de la recherche ? Entre l’événement et la structure, la description et l’analyse.[12]

Le temps médiatique impose l’étude sur le court terme, pour reprendre les termes de Jean Louis Triaud, c’est une islamologie qui se fait sismologie. Les études sur l’Islam sont à placer en dehors du temps historique, en tout cas dans une histoire inversée par rapport à celle de l’Occident, c’est ce que écrivait Hichem Djaït : L’histoire de l’Islam ne se déroule plus selon sa dynamique propre mais comme le reflet pâle et inversé de celle d e l’Occident[13].

Le regard porté sur l’Islam est aussi le résultat d’une histoire qui trouve ses sources dans les évènements du 12 juillet 1790, la constitution civile du Clergé, écrite par Talleyrand, dans le Concordat de 1801 et dans l’anticléricalisme de la IIIème République. En effet, la lutte contre le catholicisme a traversé la Méditerranée pour se porter contre l’Islam, on se souvient du discours de Jules Ferry sur les bienfaits de la colonisation : La civilisation française avance résolument (…) Ce que le génie de la France a fait de cette terre admirable et barbare en quarante ans, ce que la République a fait en seize ans met la puissance colonisatrice de notre pays au dessus de toute contestation, au niveau de toute comparaison .

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Pour les hommes de la IIIéme République, il s’agissait de faire une pierre deux coups, défendre l’idée de progrès, mais aussi, de répondre au défi de l’anticléricalisme face à l’Islam. Le modèle qui servit alors à l’appréhender fut celui de la société secrète et subversive comme l’ordre des Jésuites, aussi, les confréries en Algérie étaient souvent représentées comme des sociétés secrètes qui menaçaient le pouvoir colonial parce qu’elles développaient le sentiment religieux au sein des populations.

De nombreux explorateurs français se lancent alors dans l’étude des congrégations musulmanes alors qu’en métropole, le combat contre les congrégations catholiques battait son plein. Le modèle de la confrérie est d’ailleurs comparé à la Chouannerie ( certains auteurs établissaient des analogies entre Chouannerie et Khouanerie). Aussi, les réactions par rapport à l’Islam se sont construites sur le modèle du gallicanisme concordataire, la laïcité est devenue un moyen de réunir et de capter les différentes catégories sociales ou culturelles, c’est le mythe du consensus, d’ailleurs le regard culturel qui est posé sur l’Islam, aujourd’hui, témoigne de la volonté d’exclure du moule républicain tous ceux qui échappent au consensus.

Le regard culturel qui est porté sur l’Islam est aussi une manière de simplifier des problèmes complexes. Si le Christianisme a pu constituer une matrice dans la construction politique de l’Occident, notamment avec des penseurs eux mêmes chrétiens, on connaît le rôle joué par certains penseurs du Moyen Age et celui des Protestants en 1905, le cas de l’Islam est autre, dans ce sens où c’est l’Etat qui a toujours instrumentalisé le religieux. En effet, en Islam, tous les pouvoirs ont été séculiers en ce sens qu’ils n’ont pas été déterminés par le religieux :le calife, l’émir, intervient dans le religieux en domestiquant les Oulamas. Comme le dit le politologue Olivier Roy, la non distinction entre l’Etat et la religion sécularise le religieux plus qu’il ne sacralise le politique[14]. Donc l’Islam a connu une sécularisation de fait. Or on continue aujourd’hui à considérer l’impossible séparation entre la religion islamique et l’Etat, à opposer la Charia aux Droits de l’Homme, voire la Nation à l’Oumma.

Ce qui a sans doute une conséquence importante dans l’ appréhension des programmes scolaires ou des approches universitaires, aujourd’hui, en développant une approche globalisante qui a tendance à regrouper plusieurs notions autour d’un même concept. Les programmes de la classe de terminale aujourd’hui, répondent à une logique huntingtonienne qui établit un lien entre le dogme et le système politique matérialisé par une culture, Huntington lui-même évoque dans sa thèse le cas de la Turquie et de l’Iran qui sont quand même des Etats à part dans le monde arabo-musulman, mais qui demeurent malgré tout profondément marqués par l’Islam.

Il convient donc de rétablir la place de l’Islam dans l’Histoire, en tenant compte de son rôle de trait d’union entre l’Ouest et l’Est, c’est ce que Hichem Djaït avait bien compris, en soutenant que L’Islam n’a pas coupé le monde en deux : bien au contraire, son rôle de trait d’union entre la périphérie de l’Orient et le cœur du monde est avéré et établi…La naissance de l’Europe à l’Histoire s’est faite et ne pouvait se faire que par le truchement de l’Islam : dans un premier temps par le repli défensif, dans un deuxième par une explosion offensive[15].

Il convient donc, de se reconnaître dans un passé commun, dans une histoire partagée, c’est aussi le refus de considérer l’Islam comme étranger à notre civilisation, en ne l’appréhendant plus comme une culture de l’étranger, car comme l’explique Olivier Roy, l’Islam s’est trouvé transformé par la sécularisation et la laïcité, ce qui montre que finalement ce n’est pas tant l’Islam qui pose problème, mais plutôt le retour du religieux.

En conséquence, il demeure urgent d’effectuer un travail sur l’enseignement du fait religieux à l’école, ce qui se fait déjà depuis plusieurs années, mais il s’agit ici de reconnaître du même chez l’autre, de rechercher l’universel, de replacer l’Islam dans un imaginaire partagé avec les autres cultures, ainsi mieux intégrer le fait religieux c’est surtout réagir contre l’analphabétisme et acquérir une conscience civique mais cette fois, comme le proposait Régis Debray, en développant la lecture critique des textes religieux fondateurs, qui doit pouvoir permettre de lutter contre les communautarismes. Cet enseignement doit contribuer à vivre la citoyenneté en donnant un fonds de valeurs fédératives pour relayer en amont l’éducation civique et limiter l’éclatement des repères comme la diversité des appartenances religieuses.

1 Henri Pirenne Mahomet et Charlemagne Paris et Bruxelles 1937, p.186 cité par Jean Louis Triaud L’Islam vu par les historiens français

2 Fernand Braudel (dir) La Méditerranée. L’Espace et l’Histoire T. I Paris Art et Metiers graphiques 1977 P. 139, 144,156 in J.L. Triaud art. cité

3 Fernand Braudel Grammaire et civilisations Paris 1993 p.112 in J.L. Triaud art. cité

4 Pierre Chaunu Histoire science sociale. La durée, l’espace et l’home à l’époque moderne. Paris Sedes 1974 p. 204-241 in J.L.Triaud art. cité

5 Art. cité

6 Maxime Rodinson Fantômes et réalités de l’orientalisme revue Quantara n° 13 octobre, novembre, décembre 1994.

7 Edward W. Said L’orientalisme, l’Orient créé par l’Occident Seuil 1980

8 Robert Ilbert L’histoire du monde arabe et musulman Lettre d’information de l’Association française pour l’étude du monde arabe et musulman (AFEMAM) décembre 1987 n° 2 P. 37

9 Claude Liauzu Jalons pour un Etat des lieux Lettre d’information de l’Association française pour l’étude du monde arabe et musulman (AFEMAM) décembre 1987 n°2 p. 12

10 Des intellectuels et du pouvoir Edward W Saïd Paris Le Seuil 1994

11 Le Proche Orient dans la guerre art. cité

12 Chercheurs et journalistes (à propos du Moyen Orient) Olivier Roy Esprit mars 1985

13 Hichem Djaït Dimension de l’orientalisme islamisant in Henri Moniot (dir) Le mal de voir Pris UGE 1976

14 Olivier Roy La laïcité face à l’Islam ed. Stock Paris 2005

15 Hichem Djaït L’Europe et l’Islam Paris Seuil 1978

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