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Identité nationale, islam, laïcité : Nicolas Sarkozy dans le texte…

En lançant son débat sur l’identité nationale, Eric besson, en charge du ministère homonyme, avait déclaré qu’il ne faisait qu’accomplir une promesse de campagne de Nicolas Sarkozy. Il avait bien raison. Dans une tribune publiée dans le quotidien Le Monde, daté du mercredi 9 décembre 2009, le chef de l’état vient de clarifier sa position, dans ce débat.

Avant toutes choses, et pour bien appréhender le contenu de cette tribune, il est nécessaire de le replacer dans une perspective plus large de la politique sarkoziste, et de son évolution, ces six dernières années. Concernant le rapport à l’objet islam, on y distingue plusieurs étapes. L’étape pré-électorale, la période électorale et la gouvernance.

L’étape pré-électorale est une étape mitigée. Sarkozy qui a finalisé le processus institutionnel qui a mené au Conseil Français du Culte Musulman, se rend, en 2003, au congrès du Bourget. A cette époque, l’ancien ministre de l’intérieur, fidèle à son opportunisme, mise sur une stratégie électoraliste communautaire, à plusieurs détonations. Sa vision de la carte électorale est faite de cercles concentriques qui se font face et, parfois, s’entrelacent.

Très vite, l’objectif est de préparer le ralliement des différents groupes sociaux, susceptibles de le soutenir. Les chefs d’entreprise du MEDEF pourront compter sur sa politique économique, toute teintée de libéralisme. Le CRIF, partenaire du chef de l’état et qui voit en lui son champion, obtient des gages sur le changement de politique internationale de la France à l’égard d’Israël.

Quant à la communauté musulmane, elle n’est pas en reste. Le futur chef de l’état, conscient de marcher sur des œufs, tente un rapprochement sous conditions. La formule qu’il emploie à l’époque, traduit cette oscillation politique : il se présente comme « l’ami exigeant » des musulmans, car il n’oublie pas que la France profonde le regarde.

La même année, Nicolas Sarkozy s’opposera à une loi sur les signes religieux à l’école, dont il craint qu’elle soit vécue comme « une humiliation et une punition » , par les musulmans, même si par la suite, il nuancera sa position et se montrera favorable à la nouvelle législation.

Pourtant, la lune de miel islamo-sarkosienne ne durera pas. Après une première tentative de rapprochement avortée entre l’UOIF et le CRIF, Sarkozy recentre sa stratégie et choisit de faire l’impasse sur le vote musulman, qu’il juge éclaté, non fiable et fébrile. Il privilégiera désormais un axe électoral conservateur, centré à la fois sur les chrétiens de droite, la communauté pied-noir et la communauté juive.

L’étape de la période électorale confirmera ce choix.

Le mouton dans la baignoire

Nous sommes en février 2007. Deux mois avant le premier tour de l’élection qui devait le propulser au sommet de l’état, Nicolas Sarkozy est l’invité d’une émission en prime time, sur TF1 « J’ai une question à vous poser ». Il y fait ces déclarations : « Personne n’est obligé, je le répète, d’habiter en France. Mais quand on habite en France, on respecte ses règles, c’est-à-dire qu’on n’est pas polygame, on ne pratique pas l’excision sur ses filles et on n’égorge pas le mouton dans son appartement et on respecte les règles républicaines. » Le public applaudit (1).

L’allusion aux musulmans est ici, aussi frontale qu’amalgamée à des pratiques, soit très minoritaires (la polygamie), insignifiantes (le sacrifice de moutons à domicile), voire anti-islamiques (l’excision).

Mais l’effet sur l’électorat de droite est garanti et renforce la stratégie électorale du candidat Sarkozy. Deux jours plus tard, il récidive et prononce le fameux discours de Toulon, où il célèbre les pages mythique du récit national de la colonisation française. « Le rêve européen a besoin du rêve méditerranéen. Il s’est rétréci quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Égypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve qui ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation ». (2)

Les nostalgiques de l’Empire jubilent et les pied-noirs sont ravis.Vient l’élection et l’ultime étape : la présidence Sarkozy. Cette fois, le chef de l’état ne se contente plus de discours et scelle, deux ans plus tard, son alliance initiale avec la figure la plus emblématique de l’islamophobie française : Philippe de Villiers (3).

C’est dans ce contexte que s’est ouvert la polémique sur la burqa, puis le débat sur l’identité nationale, deux questions directement associées (4).La dernière intervention du Président Sarkozy est donc l’aboutissement d’une politique amorcée, il y a maintenant six ans.

Que dit-il, dans cette fameuse tribune ?

Dès le départ, Sarkozy introduit son texte par une référence au vote référendaire des suisses, favorable à une interdiction des minarets. Il prend fait et cause pour les suisses et critique les prises de positions condamnant ce vote. Il aborde la question des minarets comme un « problème »à résoudre au cas par cas, mais refuse de se prononcer sur le résultat du vote.

L’habileté du chef de l’état consiste à renverser la tension de la situation en faveur des Suisses, désormais victimes d’une opinion publique, considérée comme injuste. La violence et le mépris n’émaneraient plus d’une attitude révélatrice d’une montée de l’intolérance à l’encontre des musulmans, mais de « milieux médiatiques et politiques (5) ». « Mais comment ne pas être stupéfait par la réaction que cette décision a suscitée dans certains milieux médiatiques et politiques de notre propre pays ? (6), écrit-il (…) Derrière la violence de ces prises de position se cache en réalité une méfiance viscérale pour tout ce qui vient du peuple. (…) Ce mépris du peuple, car c’est une forme de mépris, finit toujours mal. Comment s’étonner du succès des extrêmes quand on ne prend pas en compte la souffrance des électeurs ?(7) ».

Pour défendre ce point de vue, Sarkozy ne recule devant aucun contre-sens. Comme celui d’évoquer l’exemple du vote de la Constitution européenne, en 2005. Un texte jugé trop libéral et rejeté par les français, suivis de quelques autres nations européennes. C’est pourtant la même Constitution que Nicolas Sarkozy soutenait mordicus, et qu’il fit adopter le 4 février 2008, par un amendement….contre l’avis des Français.

Une menace sourde

Il poursuit, plus loin, en écartant d’emblée la question des libertés, argument légitimement opposable au vote suisse. « Comprenons bien d’abord que ce qui s’est passé n’a rien à voir avec la liberté de culte ou la liberté de conscience. Nul, pas plus en Suisse qu’ailleurs, ne songe à remettre en cause ces libertés fondamentales (8). »

Il n’y a donc pas de problème de liberté de culte, seulement une inquiétude exprimée à propos d’un élément d’altérité inoculé au sein d’un socle identitaire, l’islam en Europe, source de dénaturation culturelle ! Les mots sont lâchés. « Les peuples d’Europe sont accueillants, sont tolérants, c’est dans leur nature et dans leur culture. Mais ils ne veulent pas que leur cadre de vie, leur mode de pensée et de relations sociales soient dénaturés. Et le sentiment de perdre son identité peut être une cause de profonde souffrance (9). »

Pour le président de la République, la mondialisation a accru ce sentiment identitaire et ce besoin d’appartenance. Un besoin d’appartenance auquel, selon lui, le débat sur l’identité nationale doit apporter une réponse claire, pour éviter le replis identitaire. « Ce besoin d’appartenance, on peut y répondre par la tribu ou par la nation, par le communautarisme ou par la République.

L’identité nationale c’est l’antidote au tribalisme et au communautarisme. C’est pour cela que j’ai souhaité un grand débat sur l’identité nationale. Cette sourde menace que tant de gens dans nos vieilles nations européennes sentent, à tort ou à raison, peser sur leur identité, nous devons en parler tous ensemble de peur qu’à force d’être refoulé ce sentiment ne finisse par nourrir une terrible rancœur (10( . ».

On remarquera l’emploi des termes tribu et tribalisme, ethniquement connotés, qui rappelle l’imaginaire coloniale du bon sauvage, éloigné de la civilisation et absent de l’histoire, termes directement opposés à nation, ou celui de communautarisme, vocable définitivement consacré pour désigner les musulmans et leur aptitude inexpiable, à se projeter dans une oumma, opposé à République. La démarche du président Sarkozy demeure essentiellement, exclusive.

Plus révélateur, et plus inquiétant, l’usage de l’expression « une sourde menace », indique explicitement la nature des considérations personnelle de Nicolas Sarkozy envers ses « compatriotes » musulmans, ainsi que les résidents. Ils représenteraient une sourde menace, qu’ils conviendrait de dissiper. Et la métaphore psychanalytique permettra d’y remédier, en expulsant le refoulé et en mettant fin au malaise, dans la civilisation européenne. Il n’est plus question de politique ou de droit, mais de sentiments et de rancœurs, qui justifient a posteriori, le débat.

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Toute la tirade sarkosienne, « c’est de la part de celui qui accueille la reconnaissance de ce que l’autre peut lui apporter. C’est de la part de celui qui arrive le respect de ce qui était là avant lui. (11) », confirme cette démarche d’exclusion. À dessein, Sarkozy associe et mélange dans un même texte, les catégories de citoyens et d’immigrés, d’étrangers, de résidents et de nationaux, en les réduisant à une seule : la catégorie de musulman, figure éternelle de l’étranger. Et pour cause, il n’a pas renoncé au sacro-saint dogme de l’assimilation. “La clé de cet enrichissement mutuel qu’est le métissage des idées, des pensées, des cultures, c’est une assimilation réussie (12).”

Le Président ne semble pas s’embarrasser de ces détails. La voie de l’assimilation est claire et les musulmans devront consentir à des renoncements, s’ils veulent l’emprunter. Ils devront s’approprier les valeurs, les convictions, les lois et les traditions républicaines (parmi elles sont citées : l’égalité de l’homme et de la femme, la laïcité, la séparation du temporel et du spirituel.), des principes que bon nombre de nationalistes considèrent incompatibles avec les valeurs de l’islam, qu’ils lui opposent.

Un double message

L’équation sera donc, moins d’islam pour davantage de francité. “Je m’adresse à mes compatriotes musulmans pour leur dire que je ferai tout pour qu’ils se sentent des citoyens comme les autres (…) Mais je veux leur dire aussi que, dans notre pays, où la civilisation chrétienne a laissé une trace aussi profonde, où les valeurs de la République sont partie intégrante de notre identité nationale, tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à l’échec l’instauration si nécessaire d’un islam de France qui, sans rien renier de ce qui le fonde, aura su trouver en lui-même les voies par lesquelles il s’inclura sans heurt dans notre pacte social et notre pacte civique (13) .”

Dans ce contexte, les musulmans sont appelés à faire profil bas, s’ils veulent pouvoir se construire un avenir. Et respecter, à la fois les valeurs républicaines, constitutives de l’identité nationale, mais aussi l’héritage chrétien de la France, qu’il convient de ne pas heurter. Une menace à peine voilée (14).

Pour conclure ce texte, Nicolas Sarkozy appelle l’ensemble des croyants de la République à faire preuve de “discrétion”, à se garder de toute ostentation et de toute provocation. Des conseils qu’il pose comme des conditions du vivre ensemble. Des conseils qu’il pourrait se prodiguer lui-même.

Chef de l’état, président de la République, garant des institutions, Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse, depuis son élection, de bousculer et de provoquer les valeurs et les traditions, qu’il invoque. En voulant définir ce qu’était la liberté religieuse, en lui apposant des limites, en violant la laïcité qui est le respect de la liberté de conscience, justement garantie par la neutralité religieuse de l’État, Sarkozy a provoqué une rupture républicaine, comme il l’avait annoncé.

Et dans ces conditions, ce débat sur l’identité nationale, loin d’être une simple initiative ouverte et désintéressée du gouvernement, se révèle être un double message. A l’attention des musulmans de France, qui doivent surveiller leurs agissements et s’efforcer de se plier à la norme. A l’attention des français dit de souche, qui peuvent faire confiance au gouvernement, pour bien veiller qu’ils le fassent.

Notes

1- Pour un rappel des déclarations de Nicolas Sarkozy sur l’islam, lire l’article « Nicolas Sarkozy, les musulmans, l’islam et le colonialisme », d’Alain Gresh, sur le lien http://blog.mondediplo.net/2007-03-29-Nicolas-Sarkozy-les-musulmans-l-islam-et-le

2- ibid.

3- En juin dernier, Philippe De Villiers intègre le comité de liaison de la majorité présidentielle, une structure dont le but est de permettre à la majorité gouvernementale d’élargir son électorat, pour les prochaines élections. Le Mouvement pour la France, parti de De Villiers, est le seul à avoir directement fait campagne sur la menace que l’islam ferait peser sur la France.

4- Dans une circulaire envoyée le 2 novembre dernier, à l’ensemble des préfectures, Eric Besson évoque un débat qui « répond aussi aux préoccupations soulevées par la résurgence de certains communautarismes, dont l’affaire de la burqa est l’une des illustrations. » L’islam devient le centre du débat, lui-même paravent d’une remise en cause implicite de la présence musulmane en France. Sur le même registre, Alain Juppé s’interrogeait, sur Europe1, sur une éventuelle islamo-compatibilité avec la République.

5- Nicolas Sarkozy, “Respecter ceux qui arrivent, respecter ceux qui accueillent”, Le Monde, daté du 9 décembre 2009.

6- ibid

7- ibid

8- ibid

9- ibid

10- ibid

11- ibid

12- ibid

13- ibid

14- Stéphanie Le Bars, dans un article paru le lendemain, dans le même quotidien, parle d’une nette mise en garde aux musulmans , du Président Sarkozy, confortant un « contexte marqué au niveau européen par une poussée du populisme. » Voir “Le débat sur l’identité nationale tourne au débat sur l’islam”, le Monde.fr, en date du 9 décembre 2009.

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