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Hommage à Hamidullah

Professeur à l’université d’Oxford, Yahya Michot est un des spécialistes contemporains de l’islam en Europe. Il est l’auteur de Musulman en Europe (éd. Jeunesse sans frontières), préfacé par Tariq Ramadan. De nationalité belge et parfaitement francophone, Yahya Michot est un grand connaisseur de la France, où il a longuement fréquenté le Professeur Muhammad Hamidullah (1908-2002). Lors d’un hommage public rendu à Hamidullah ce samedi 18 décembre 2004, à Paris, le professeur Michot est invité à prendre la parole sur la pensée dans l’œuvre de Hamidullah.

Hawwa Bâ : Quelle place occupe, selon vous, une figure comme le professeur Hamidullah dans l’islam, aujourd’hui, en Occident ?

Yahya Michot : Les communautés musulmanes d’Occident paraissent souvent désorientées par les évolutions politiques les concernant, localement comme internationalement, par la discordance des discours des oulémas et le foisonnement des interprétations, contre-interprétations et més-interprétations de la religion, par l’éparpillement des intérêts et des efforts, par les déviances et les débordements générateurs de démissions autant que de radicalisations.

Dans ce paysage tourmenté, la mémoire et l’œuvre du professeur Muhammad Hamidullah deviennent une oasis de vrai savoir, de sagesse et d’espoir, où chacun peut faire halte, récupérer et se ressourcer avant de reprendre son chemin.

Quelle raison voyez-vous à cela ?

Yahya Michot : Une totale consécration professionnelle à l’essentiel : le Livre révélé ; le Prophète – sur lui la paix ! – ; la voie de la sharî‘a  ; la communauté et ses relations avec les non-musulmans. D’où des œuvres comme une exemplaire traduction française du Coran, les deux volumes de Le Prophète de l’islam et Six originaux des lettres diplomatiques du Prophète de l’islam, Initiation à l’islam, les quatre tomes de la traduction du Grand Livre de la conduite de l’État (Kitâb al-siyar al-kabîr) d’al-Shaybânî, etc. Œuvre d’autant plus considérable qu’elle n’avait d’autre but que le service de Dieu et la recherche de Son Visage, par la guidance de Ses serviteurs, sans se vouloir en rien contribution à quelque vaine gloire terrestre par la promotion de son auteur, cet ‘âlim aussi réservé que d’apparence frêle, humble et d’une exquise affabilité.

Par sa personnalité autant que par son extraordinaire travail, le professeur Muhammad Hamidullah a planté au cœur de l’Occident, pour tous, musulmans ou non, une tente véritablement « abrahamique ».

L’œuvre de Muhammad Hamidullah est vaste. Quels en sont les traits les plus marquants qui mériteraient d’être connus aujourd’hui ?

Yahya Michot : Trois traits me sembleraient pouvoir être retenus : la volonté de faire œuvre utile, l’acceptation des défis de l’orientalisme et l’internationalisme.

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Alors même qu’il allait à l’essentiel, Muhammad Hamidullah ne s’est pas enfermé dans une tour d’ivoire et n’a pas réservé le fruit de ses études à un cénacle de spécialistes. Conscient qu’il n’est de pire savoir qu’un savoir inutile, il a toujours gardé le souci de rester lisible et compréhensible par le plus grand nombre.

Plutôt que de se gargariser de condamnations clé sur porte des orientalistes, comme on en trouve malheureusement dans trop d’écrits de musulmans, M. Hamidullah a engagé la discussion scientifique sur leur propre terrain, sans complexe ni bravade, en déployant une immense érudition pour fonder ou justifier le point de vue musulman en cas de questions controversées, par exemple l’authenticité des lettres du Prophète.

M. Hamidullah fut enfin un infatigable passeur de frontières, qu’elles aient été politiques, culturelles ou linguistiques. Prenons l’exemple de son Grand Livre de la conduite de l’État, d’al-Shaybânî : voilà la traduction en français d’un ancien traité arabe, publiée par un Indien en Turquie ! Dans la umma d’aujourd’hui, le vrai savant redevient nécessairement un homme du voyage, un itinérant sur un sabîl Allâh aux dimensions de la planète.

Vous êtes invité à participer à l’hommage public organisé le samedi 18, à Paris. Qu’attendez-vous de cette rencontre ?

Yahya Michot : Je ne viendrai pas à cet hommage comme un communiste irait au tombeau de Lénine. Le but de la rencontre du 18 décembre n’est en effet ni d’encenser une figure ni de vénérer un grand défunt. Pour ceux qui ont côtoyé le professeur Hamidullah ou suivi son enseignement, ce sera l’occasion de partager leurs souvenirs avec ceux qui n’eurent pas ce privilège, pour les encourager à s’inspirer plus profondément de son exemple, dans leur vie de foi comme dans leur compréhension de la religion. J’espère personnellement avoir l’occasion d’entendre les témoignages de plusieurs personnes qui furent proches de lui.

Vous qui avez écrit Musulman en Europe, quelle analyse faites-vous de l’idée d’une fondation Hamidullah destinée à faire connaître les penseurs musulmans d’Europe ?

Yahya Michot : L’Europe est une sorte de nouveau continent de la umma. Les responsables des pays musulmans ne s’en rendent parfois pas plus clairement compte que les « vieux » Européens refusant par exemple la perspective d’une entrée de la Turquie dans l’Union européenne au prétexte d’une altérité religieuse. Diverses communautés musulmanes d’Europe sont même d’ores et déjà devenues non seulement productrices, mais exportatrices d’« Islam » : idées et savants, livres, cassettes, cédéroms, etc. Une fondation qui encouragerait en Europe le développement et la diffusion d’une authentique pensée musulmane, riche à la fois de sa fidélité à la tradition et de son ouverture au siècle, serait sans doute une merveilleuse manière de rendre utilement hommage au professeur Muhammad Hamidullah.

 

Pour en savoir plus sur l’Hommage public : www.ifrance.com/CollectifHamidullah

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