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Grandeur et misères de la République

L’avantage de la condition post-coloniale est qu’aujourd’hui en France on n’a pas besoin de chercher trop loin son ‘Arabe’. Autrefois, il fallait tout de même faire des efforts pour dénicher son hérétique, son juif, son nègre, son syphilitique, son homosexuel, son aristocrate, son prolétaire ou bien son bourgeois. Mais un ‘Arabe’, quoiqu’il vous fâche, il est là. Masse culturelle et économique incontournable. Tout en lui est vrai : son nom, sa religion, sa musique même.

La plume toujours

Les écrivains n’ont jamais cessé de nous dire que la cocasserie est de rigueur dans une existence où le politique se réduit à la somme de ce qui nous a échappé ou déçu. L’ampleur de l’entreprise multiculturelle dont la France arrive mal à se défausser n’est qu’un exemple parmi d’autres de veulerie institutionnelle. Écrire pour détailler le quotidien d’une société et en rire consiste aussi à évoquer une substance plus profonde que les programmes, plans, budgets, et autres stratégies politiques. Les écrivains, eux, nous amusent des idées qui sont à nous mais que l’on reçoit, bon gré mal gré, comme des cadeaux d’anniversaire. N’y-a-t-il pas, par exemple, plus de transcendance chez Rabelais, formé à la médecine arabe, que chez Napoléon III, cet adorateur de l’Algérie ?

Même plus une trahison de clercs.

L’intellectuel français discutaille et écrivaille. Il se cuirasse d’opinions simples, rarement transitoires, et motivées par la comédie de soi. Il fait son trou et n’en sort que miroir en main. Oh qu’il serait beau le Musée de l’Égotisme et de la Postérité ! Les mots de l’intellectuel constituent son aventure intime depuis que l’Outre-Mer fait désordre et que l’Hexagone, tabulation d’un chaos identitaire annoncé, s’est offert tout à la fois son empire et son orientalisme, mais à rebours. Quand on ne sait imaginer il reste toujours la gueule de l’étranger. Les expositions coloniales ou l’équipe de France de football de 1998 ne disent rien d’autre. Derrière les pensées, les essais franco-français, on déniche la mystification qui court-circuite l’humanisme et l’esprit des Lumières. L’idée républicaine devient ainsi son propre référent, marque son territoire sous le mode de l’exclusion. Rappelons-nous que sous le joug colonial et sa mission civilisatrice les ‘Arabes’ ne contemplaient guère la Méditerranée, ce sont les Camus qui pouvaient se payer un tel paysage et y voir jusqu’à la Grèce antique.

Dans cette République on sollicite de la littérature une croyance partagée car en France plus qu’ailleurs on sait qu’on est à la merci des faiseurs d’Histoire. De Gaulle a distribué les indépendances parce qu’il craignait peut-être que Colombey-les-deux-églises ne devînt Colombey-les-deux-mosquées, en 1957 Mitterrand écrit dans son livre Présence française et abandon : “Sans l’Afrique il n’y aura plus d’histoire de France au XXIème siècle”, et Chirac, lui, a fait l’Algérie, enfin plus par devoir que par raison car -faire- un pays, même au nom de la France, s’était chercher à s’acquitter d’une dette. C’est aussi une des raisons pour lesquelles l’immigration est condamnée à n’être que le superlatif de la colonisation.

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Le “qui suis-je” du bougnoule.

Des immigrés certains sont faits pour évoquer l’invisibilité, d’autres sont des excitateurs d’imaginaire. Étrange division qui se comprend mieux quant on sait que la France tarde en excuses et dédommagements pour les décennies d’exploitation coloniale, de sacrifices humains (les guerres mondiales ont-elles été autre chose qu’une affaire occidentale ?), et de prestige très rentable. S’il est risible qu’Alger fut un temps la capitale de la France libre, il n’y a jamais eu de raison admissible pour que Paris fût celle de l’Algérie. L’idée ne nous lâchera pas parce que sa rigueur se nourrit de l’arbitraire. Comprenez bien qu’un enfant d’immigrés maghrébins, sénégalais, ou vietnamiens n’est pas français : il est la France. Pas de créances à ce titre, juste une réalité.

Le hasard des lectures françaises ramène à l’esprit, c’est-à-dire à l’instabilité et à la contingence. Pascal déjà dans la section IX de ses Pensées nous apprend qu’il existe deux sortes de Juifs, ceux qui ont des affections païennes et ceux qui ont des affections chrétiennes. Mahomet et son Alcoran, eux, possèdent des clartés ridicules. Le penseur est profond, sa langue limpide. Il donne raison à l’histoire de France.

Février 2004

Bien sûr il y a le foulard islamique qui naturalise l’ennemi intérieur. Le recours à la loi, poussée idéologique aberrante (en est-il autrement ?), a affranchi la République du devoir de liberté pour tous ses citoyens. Ainsi découvre-ton plus de quarante ans après les indépendances que les métissages ne partagent pas la même généalogie. Par un seul vote à l’Assemblée nationale on affronte, on exclut et au nom de l’uniformité universaliste on consomme du musulman. Plat du jour, du onze septembre plus précisément. Il faut, après tout, injecter dans le système la symétrie et l’expression finale de ce qui est, non pas de ce qui peut être. Ainsi le dévoilement légal constitue-t-il l’avatar du moment de la connaissance, à savoir un tout symbolique du désespoir identitaire républicain au XXIème siècle.

Retour au harem puisque au fond la mini-jupe n’a jamais rien eu à offrir qui ne soit déjà là. Ce fourvoiement dans un désir de femme-libre, concomittant à une exploitation permanente (dans la vie politique, les médias, le monde du travail, etc.), n’est qu’un fantasme d’impuissant. Tout se passe comme si, par l’entremise de l’incantation laïque, les thuriféraires de la sainte République voulaient émanciper la femme musulmane en contraignant le droit à la différence. Bref, la loi se tente elle-même en tentant l’autre. Dans tout cela, l’islam finit par jouer un rôle dans la misogynie et le paternalisme judéo-chrétiens, mais pas celui que l’on croit.

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