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Existe-t-il un antisémitisme islamique ?

La responsabilité des musulmans et des juifs en Occident est énorme : vivant ensemble, citoyens des même sociétés, ils devraient faire entendre leurs voix au nom de la justice et du respect mutuel. En France, par exemple, on trouve une situation tout à fait singulière, à savoir les communautés juives et musulmanes les plus nombreuses d’Europe. Aux Etats-Unis, nous trouvons la même situation avec deux communautés partageant la même citoyenneté. En cela ces sociétés, et l’Occident en général, devraient faire office de laboratoire du « vivre ensemble ». Sur le terrain néanmoins tout indique que les difficultés se multiplient. On a certes par le passé connu des moments de nervosité mais rien de similaires aux tensions qui ont suivi la seconde Intifada et plus récemment la nouvelle flambée de violence au Moyen-Orient. Tout se passe comme si la jeunesse française, d’origine immigrée et musulmane, était plus sensible aux événements en Palestine et manifestait son mécontentement de façon plus audible.

Des propos malveillants, des « A bas les juifs ! » fusant dans certaines manifestations, voire des exactions contre des synagogues ont pu être enregistrés dans différentes villes de France. Plus généralement, on a pu entendre ici et là des propos ambigus sur les juifs, leur pouvoir occulte, leur rôle insidieux dans les medias, leur sombre stratégie, et tout à l’avenant. Après le 11 septembre, les fausses rumeurs sur les 4000 juifs qui ne se seraient pas présentés à leur poste le matin des attaques contre le World Trade Centre, ont été relayées jusque dans les banlieues.

Des voix musulmans, trop rares, se sont fait entendre pour se démarquer de ces propos et attitudes. On a parfois expliqué ces phénomènes par la frustration et un sentiment profond d’humiliation. Cela peut être mais il faut néanmoins être honnête et aller jusqu’au bout de l’analyse du phénomène : comme cela se voit à travers le monde musulman, il existe aujourd’hui en Occident un discours antisémite qui cherche à tirer sa légitimité de certains textes de la tradition musulmane et qui se sent conforté par la situation en Palestine. Ce discours n’est pas uniquement le fait de jeunes désœuvrés mais il est également véhiculé par des intellectuels ou des imams qui à chaque écueil, au détour de chaque revers politique, voient la main manipulatrice du « lobby juif ».

La situation est trop grave pour que l’on se satisfasse de propos de circonstance. Les musulmans, au nom de leur conscience et de leur foi, se doivent de prendre une position claire en refusant qu’une atmosphère délétère s’installe dans certains pays occidentaux. Rien dans l’islam ne peut légitimer la xénophobie et le rejet d’un être humain par le seul fait de sa religion ou de son appartenance. Ce qu’il faut dire avec force et détermination, c’est que l’antisémitisme est inacceptable et indéfendable. Le message de l’islam impose le respect de la religion et de la spiritualité juives considérées comme la noble expression des « gens du Livre ». Dans les premiers temps de son installation à Médine, avant les conflits d’alliance, le Prophète Muhammad avait menacé : « Celui qui est injuste envers un contractant (les chrétiens et les juifs de Médine), je témoignerai contre lui le jour du jugement dernier ». Plus tard, en pleine période de conflit, huit versets du Coran furent révélés pour innocenter un juif qu’un musulman cherchait à faire injustement accuser à sa place. Muhammad n’a cessé d’enseigner le respect des êtres dans leur différence : il se leva un jour alors qu’une procession funèbre passait non loin de lui ; on lui annonça qu’il s’agissait d’un juif, à quoi il répondit : « Ne s’agit-il pas d’une âme humaine ? »

On ne peut négliger cet enseignement et continuer à alimenter des représentations pour le moins trouble concernant les juifs. C’est la responsabilité des cadres associatifs et des imams de diffuser un message sans ambiguïté sur les profonds liens entre l’islam et le judaïsme, sur la reconnaissance islamique de Moïse et de la Thora, sur la contextualisation nécessaire de certains textes équivoques, sur le respect mutuel et le refus de toute forme d’antisémitisme explicite ou larvé. Cela veut dire également qu’il faut reconnaître l’horreur que fut l’holocauste, en étudier la portée et respecter la blessure et la souffrance qui ont façonné la conscience juive au 20ème siècle.

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Pour que tous les citoyens de confession musulmane accèdent à la compréhension de cet enseignement, il faut que celui-ci soit accompagné d’un certain nombre d’actions concomitantes. En amont, il faut lutter contre le sentiment de victimisation qui colonise de nombreux esprits parmi les citoyens français musulmans et notamment parmi les plus marginalisés. De malaise en repli communautaire, ils finissent par stigmatiser l’autre, l’Etat, la police, le juif « qui ne nous aiment pas, qui nous manipulent… ». C’est ici la responsabilité partagée des intellectuels musulmans et de l’autorité publique : pour les premiers, il s’agit de dispenser un enseignement islamique cohérent et non littéraliste qui insiste sur la responsabilisation personnelle et le respect de l’autre ; quant aux pouvoirs publics, il s’agit de proposer des actions concrètes qui brisent la logique des ghettos économiques et qui réforment les politiques sociales et urbaines sur le plan local. Qu’on le veuille ou non, le désœuvrement et la discrimination sociale sont une des causes majeures du racisme.

A un autre niveau, il devient urgent que des représentants juifs et musulmans prennent langue et établissent un dialogue franc et exigeant afin d’éviter d’alimenter les réflexes communautaristes qui pourraient mettre à mal le principe du vivre ensemble. L’autocritique doit être mutuelle et en ce sens, il faut relever le courage du cinéaste Eyal Sivan lorsqu’il s’en prend à l’attitude de certains représentants de la communauté juive qui prennent les citoyens en otage et entretiennent la confusion entre la critique de l’Etat d’Israël et les manifestations d’antisémitisme. Il faut effectivement condamner les dérapages antisémites de certains musulmans ; il est néanmoins de la responsabilité des intellectuels juifs, religieux ou laïques, de ne pas confondre les registres. Un premier ministre d’extrême-droite, qu’il soit juif ou non, est porteur d’une idéologie qu’il faut dénoncer pour ce qu’elle est. Critiquer Sharon, pour ses horribles complicités passées et l’horreur de sa politique actuelle, ce n’est point manquer de respect au judaïsme, de la même façon que critiquer une à une les dictatures des pays musulmans n’est point s’en prendre à l’islam. Le respect que nous devons au judaïsme ne doit pas être sujet à caution dès lors que l’on dénonce l’injuste politique de l’Etat d’Israël. A entretenir ce type d’amalgames malsains, on finit par creuser des tranchées entre des appartenances qui évident de son sens la pratique d’une citoyenneté française fondée sur des valeurs de justice et d’égalité.

Musulmans comme juifs doivent cesser d’alimenter le sentiment d’être des « victimes », et reconsidérer les discours que chacun entretient sur l’autre. Au nom d’une commune éthique citoyenne, notre dignité sera fonction de notre capacité à savoir critiquer, au-delà de toute appartenance confessionnelle, tout Etat et toute organisation à l’aune des principes du droit sans considérer qu’il s’agit d’une manifestation d’antisémitisme ou d’islamophobie. C’est cette exigence intellectuelle qu’il faut enseigner et qui aidera tous les juifs et les musulmans à offrir à leur foi et à leur appartenance respective l’amplitude d’une conscience de soi universelle et non celle d’une identité-ghetto très étriquée. En Europe et en Amérique du Nord, les conditions objectives qui permettraient de relever ce défi sont réunies, reste à s’engager ensemble dans la voie de l’autocritique constructive et à refuser la perverse tentation des condamnations sélectives.

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