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Esclavage et colonialisme : Naturaliser les mémoires

Le 12 juillet 1998, une foule immense, colorée, “black, blanc, beur”, envahissait les Champs-Élysées pour fêter la victoire de l’équipe de France de football en finale de  la Coupe du Monde. Deux ans plus tard, au Stade de France, théâtre de cet exploit sans précédent, la Marseillaise était accueillie par des sifflets à l’occasion du premier match France-Algérie de l’Histoire. Par ailleurs, Christian Karembeu, joueur à la combativité légendaire, se voyait rappelé à l’ordre par la Fédération Française de Football pour avoir évoqué l’humiliation que la République, jadis, infligea à ses aïeux, exhibés tels des singes durant l’Exposition Coloniale du début du XIXème siècle.

Ces deux faits dénotent l’ambivalence de l’attitude de nombreux citoyens “blacks et beurs” : Fierté devant une victoire à laquelle ils ont eu le sentiment de contribuer, douleur de porter une mémoire meurtrie qui ne trouve pas sa place dans l’imaginaire collectif de la Nation à laquelle ils appartiennent. Au lendemain de la victoire et de l’ivresse d’un soir, succède la gueule de bois quotidienne : Discriminations à l’embauche, au logement, lourd silence des pères dans l’atmosphère confinée d’une cité-ghetto. Ces pères, ils en devinent la souffrance. Ils savent qu’ils ont été colonisés, réduits à l’esclavage, massacrés à Sétif ou à Madagascar. Ils savent également que la République, leur République, a voté en février 2005 une loi enjoignant aux professeurs d’histoire de montrer la colonisation sous un jour positif. Ils reçoivent tous les jours les discours sur l’intégration et ils comprennent confusément qu’ils doivent, pour accéder à une citoyenneté pleine et entière, faire table rase de la mémoire de leurs aïeux. Comment, en effet, faire coexister sans risque d’explosion des mémoires antagoniques ? Comment tirer fierté de la grandeur de l’Empire Colonial, Empire dont ils constatent chaque jour les stigmates sur les visages silencieux de leurs pères, leurs grands pères ? Comment pourraient-ils s’enorgueillir de la prospérité de ces grandes villes portuaires quand ils savent ce qu’elle doit à la traite négrière ?

La France a montré tout au long des siècles sa capacité à intégrer des populations allogènes. Italiens, Yougoslaves, Portugais, Arméniens, y ont fait souche et se sont fondus dans l’ensemble national. Leur insertion a été singulièrement facilitée par l’absence de contentieux mémoriel entre leur patrie d’adoption et leurs patries d’origine. L’intégration des Africains ou des Maghrébins pose un défi d’une tout autre ampleur. Leur présence en France résulte d’une histoire fortement conflictuelle, une histoire dans laquelle ils n’ont pas tenu le beau rôle, une histoire marquée par le déni de leur personnalité exprimé notamment par le Code Noir ou le Code de l’Indigénat. Il ne leur a même pas été fait crédit de leur participation active à la victoire sur le nazisme. Le 8 mai 1945, jour anniversaire de cette victoire, des dizaines de milliers d’Algériens étaient massacrés à Sétif en répression d’une manifestation pacifique. Des soldats algériens issus de cette région, auréolés de leurs succès sur les champs de bataille de Monte Cassino ou d’ailleurs, ont découvert à leur retour l’horreur du massacre de leurs proches.

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L’accès à une vraie citoyenneté des populations “blacks et beurs”, gage d’harmonie et de paix sociale, ne peut se faire sans l’intégration, mieux, la naturalisation de ces mémoires. Il ne s’agit pas de revanchisme. Il s’agit de donner droit de cité à des mémoires que portent des millions de citoyens. La question peut se poser de savoir si ces mémoires sont solubles dans l’imaginaire français. La réponse est rien moins qu’évidente. Il faut faire confiance à la maturité de la France et à sa profondeur historique. Cela ne se fera pas sans  mal mais le seul moyen pour ces populations de se fondre dans leur société est que cette dernière fasse sienne leur fardeau. A défaut, le risque est évident d’une montée de la violence sur fond de crispations communautaires. Il y a plusieurs années, aux Etats-Unis, l’affaire O.J. Simpson défrayait la chronique. Footballeur riche et célèbre, il avait été inculpé d’assassinat sur son épouse. Un sondage de l’époque indiquait qu’une écrasante majorité des Noirs le déclarait innocent alors qu’une majorité de Blancs le déclarait coupable. A cause de la blessure jamais guérie de l’esclavage, le réflexe de classe était aboli par le réflexe de race.

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