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Entretien avec le réalisateur Hassan Legzouli

A l’occasion de la sortie de son dernier film, « Tenja », interprété notamment par Roschdy Zem et Aure Atika, le réalisateur Hassan Legzouli répond aux questions d’oumma.com. Un film que nous vous recommandons particulièrement.

Le film “Tenja” a pour point de départ la dernière volonté d’un homme : être enterré dans son village natal, qu’il n’a plus jamais revu depuis son départ pour la France. Pourquoi ce choix d’un cas de figure plutôt minoritaire en la matière alors que la plupart des immigrés retournent régulièrement au Maghreb ? 

La plupart, c’est vrai, essaient de revenir au moins une fois par an au bled avec leur famille fondée en France. J’avais envie de parler de ceux, moins nombreux mais qui existent, ayant cherché à “s’intégrer” (même si je n’aime pas ce mot) au maximum dans le but d’éviter à leurs enfants de se sentir tiraillés entre 2 cultures. C’est le cas de Nordine, le personnage qui effectue le voyage depuis la France pour enterrer son père. Mais l’on ne peut refouler trop longtemps ses origines, qui constituent évidemment une richesse supplémentaire plutôt qu’un fardeau. Nordine, à la fin du film, est en quelque sorte réconcilié avec lui-même.

Lors de vos voyages au Maroc, avez-vous déjà été confronté comme lui aux problèmes (zèle administratif, reproches, etc) fréquemment rencontrés par les enfants d’immigrés ?

Oui, il n’existe pas un seul marocain qui soit passé par la douane de Tanger sans connaître ces lourdeurs administratives et ces vexations. Cela faisait partie des choses que j’avais envie de raconter. J’aime beaucoup le Maroc, mon pays aussi, mais je crois que je pouvais me permettre de raconter ces petites contrariétés du nouvel arrivant.

Le choix de la terre où doivent reposer les parents décédés demeure un sujet tabou chez les “arabo-musulmans.” Est-ce symptomatique des problèmes identitaires rencontrés par cette « communauté » ?

C’est un véritable dilemme : être enterré sur sa terre natale ou à coté de sa famille, en France. Je ne donne pas de solution idéale. A chacun de faire son choix.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette maxime “D’où vient cette branche ? De cet arbre” que le fils ressasse devant la dépouille de son père durant l’enterrement ?

De son vivant, le père a peu parlé avec son fils. Malgré le fait qu’il lui ait donné quelques éléments sur ses origines, Nordine demeure de culture française. La pudeur, l’économie de mots, la parole par des paraboles comme on le fait dans l’Atlas, ne lui ont pas permis de bien connaître son père. Cette pudeur est une donnée culturelle. C’est l’éducation que Nordine et moi-même avons reçue ! Dans la culture berbère, on n’exprime pas ses émotions. Je me souviens de mon grand-père qui, à chaque emploi du sujet “je”, demandait pardon à Dieu d’avoir dit cela.

Était-ce volontaire de conclure le film sur une issue paradoxale eu égard aux liens tissés entre les deux protagonistes ?

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Non, ce n’est pas un paradoxe pour moi car les deux personnages n’ont pas la même histoire. Nordine est heureux de rentrer en France car c’est son pays, mais en même temps son coeur s’est ouvert grâce à toute cette histoire : celle de son père ainsi que ce nouveau rapport au Maroc, la générosité et les beautés découvertes là-bas. En ce qui concerne Nora, c’est une jeune femme réaliste qui sait, pour une multitude de raisons, que sa place est au Maroc. Cependant, l’avenir est ouvert : leur rencontre les a désormais changés. 

On sent aujourd’hui une volonté de la part des enfants d’immigrés de s’approprier leur histoire, notamment par le biais du cinéma. Comment expliquer l’émergence de cette prise de conscience ?

Oui, c’est vrai qu’il y a une prise de conscience du chemin parcouru par les pères. Dorénavant, les enfants n’ont plus cet état d’esprit qui consistait entre autres à rejeter l’image paternelle, jadis plutôt dévalorisante. Beaucoup ont pris conscience que leurs parents ont participé à l’histoire de ce pays qu’est la France.

 

Propos recueillis par Abdelkrim Branine

 

*Sur Paris, le film Tenja est projeté aux Sept Parnassiens, ainsi qu’au MK2 Saint-Michel et MK2 Bastille.

Un débat aura lieu avec le réalisateur et l’équipe du film (Aure Atika sous réserve) le dimanche 20 février à l’issue de la séance de 20h, au MK2 Bastille. Le film sort également dans plusieurs salles en province, dont Marseille, Lille et Toulouse.

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