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En hommage à Marwa Sherbini, et aux autres

A peine l’aura-t-on entre-aperçu dans quelques maigres espaces carrés de nos feuilles d’informations quotidiennes ! Comme s’il s’agissait d’un secret gênant honteusement glissé à la hâte dans un murmure. Comme une parole étouffée par le froid glacial de nos illusions. Ou comme une vérité brûlante, vitriol d’un cri trop lourd à pousser. On l’aura appris par d’autres bouches, la terrible histoire. Des bouches, par centaines et par milliers, mais pas ici. Des bouches d’ailleurs pour dénoncer la boucherie qui venait de se dérouler chez nous. Des bouches plus éprises de Justice que tous les yeux crevés de ceux qui se font encore appeler les « Chiens de garde des Démocraties » et qui se sont accordés, dans un aboiement commun, pour mieux taire le drame. Comment ne pas les voir ? Cerbères dédiés à notre enfer.

Retenons ce nom, Marwa Sherbini. Retenons-le bien. Il fera date. Il fera l’Histoire. Pour que l’histoire, celle qui justement s’écrit de la main des hommes, par sa répétition, ne commette plus de redondance meurtrière. Et au nom de cet enfant de trois ans qui levaient les yeux sur le corps ensanglanté de sa mère, gisant sur le sol glacial d’un austère Palais de Justice allemand, je ferais en sorte de l’enseigner à tous les enfants du monde. Marwa Sherbini.

Les faits sont violents, leur énoncé, bouleversant. Y revenir est pourtant une obligation : 32 coups de couteaux, équitablement partagés, pour Marwa, l’enfant de trois mois qu’elle portait et son époux, chercheur en génétique, qui en réchappera. Le tout sous le regard perdu, et à tout jamais brisé, de leur enfant, petit môme juste assez grand pour en conserver les séquelles toute sa vie.

Mais les reprendre ainsi littéralement, en faisant abstraction du climat qui les a vus naître, comme le firent froidement nombre d’organes de presse, c’est, d’une certaine manière, porter une atteinte à la mémoire de la défunte aussi raide et aussi froide que la main du criminel. C’est, tout autant, violenter la vérité que Marwa entendait défendre, en portant son cas dans un prétoire et en le soumettant au juge.

Quelque part, par une sorte de perpétuation de la dynamique du crime générée par la manière dont on le relate, c’est fortifier le système dans lequel est née la haine qui fit, à la vue de tous, d’un simple homme désœuvré, un criminel des plus barbares. D’ailleurs, les milliers de manifestants qui, dans les rues du Caire, entendaient marquer leur émotion, ne s’y sont pas trompés. Ils ne crurent pas un seul instant à un simple fait divers. Qu’il me soit permis d’écrire que pour notre part, nous qui, ici, sur le sol de la même Europe, ne sommes pas sortis de nos demeures pour le dénoncer, nous n’y croirons jamais.

Ainsi, il était écrit que le crime aurait pour décor cette partie de l’enceinte des Palais de Justice que, de ce côté du Rhin, nous appelons généralement la « salle des pas perdus ». Je m’interroge : qui peut raisonnablement croire que les pas de l’assassin le furent ? Toute l’actualité de nos quotidiens, les regards pesants sur notre passage, les insultes jetés dans notre dos, les dénis de droit et de justice, les exclusions, les étiquettes, les violences, l’augmentation constante des agressions islamophobes, la suspicion entretenue sur nos intimités, la prolifération des discours publics plus prompts à distiller la haine de l’islam et des musulmans qu’à appeler toutes les consciences à dépasser leurs peurs et à travailler intelligemment à la construction du bonheur commun…tous, sans exception, nous disent d’une même voix qu’ils furent, bien au contraire, conduits, orientés et dirigés.

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A s’y pencher de plus près, il y avait quelque chose d’inévitable, presque d’attendu dans la mort de Marwa. Et, même si tous ses coreligionnaires en furent choqués, je n’en ai pas trouvé un seul qui fut véritablement surpris. Car, ils vivent tous en permanence, sans plus s’en étonner, sous le règne oppressant de l’opprobre et de l’anathème. Et que dans une régularité que le meurtre de Marwa n’a pas ébranlé, chaque jour apporte avec lui son surplus de haine et d’animosité qu’ils ont pris pour malheureuse habitude de côtoyer silencieusement, espérant en secret qu’elles s’étoufferont toutes seules avant d’avoir eu le temps de se transformer en ce que personne ne peut vouloir.

Mais, alors que s’ouvre ce lundi le procès de son assassin, la mort tragique de Marwa Sherbini nous appelle tous à dépasser la fragilité de nos émotions pour mieux transcender l’horizon perdu de l’islamophobie ambiante. En ce sens, n’en déplaise aux médias qui ne voulaient pas en parler, elle est un cri. Dans ce qu’elle a de plus beau, elle est un appel. Un appel fort et généralisé pour que chacun s’engage, personnellement et en conscience, à ce que les germes de la folie qui a causé sa mort soient fermement déracinés des nombreuses terres où ils sont enterrés. Dans les palais de Justice, sur les lieux de travail, dans les espaces médiatiques, dans les conciliabules politiques, les rues, les manuels scolaires et les places publiques. Dans les cœurs en colère ou les esprits égarés. Partout.

Il n’y qu’ainsi que nous ferons de notre belle terre d’Europe, une terre saine et fertile. Une terre qui aurait pu servir de dernière demeure à Marwa et à ses descendants si elle n’avait pas été à ce point polluée par la mise à l’index d’une religion et de ses fidèles.

Qu’on se le dise, aucune salle d’audience au monde ne serait assez spacieuse pour accueillir toutes celles et tous ceux qui, dès demain, s’attèleront à suivre les débats. En ce qui nous concerne, nous les suivrons passionnément, parce que la quête de la Justice ne peut être que passionnée, mais de toute notre intelligence. Avec sagesse et endurance, nous exigerons, au nom de Marwa et des autres, que Justice soit rendue, en Allemagne et partout ailleurs, à tous ces musulmans niés dans leur être, au nom de leur foi.

J’ai beau chercher de quoi le consoler, je ne vois pas d’autre promesse digne d’être faite à un orphelin de trois ans, qui gardera toujours au fond des yeux, le spectre du martyr de sa mère.

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