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Élections législatives au Maroc : une nouvelle mascarade électorale ?

A la veille des élections législatives marocaines qui auront lieu le vendredi 25 novembre 2011, nous avons interrogé Haoues Seniguer qui revient sur les enjeux de ce scrutin.

Les élections législatives du 25 novembre 2011 au Maroc sont-elle le début d’une réelle démocratisation du régime ou est-ce une nouvelle mascarade électorale ?

Si l’on veut saisir, en toute objectivité, la portée ou les enjeux des prochaines élections législatives, il y a lieu d’apporter quelques précisions préalables. Aussi, permettez-moi tout d’abord de revenir très brièvement sur l’épisode de la réforme constitutionnelle ratifiée à l’occasion d’un référendum qui a eu lieu le 1er juillet dernier. Celui-ci faisait suite aux discours royaux de mars et d’avril 2011, dans le contexte général d’ébullition inhérent au “printemps arabe” auquel n’a pas échappé, loin s’en faut, le royaume nonobstant la tonalité rassurante des officiels.

Plus de 98% du corps électoral s’est exprimé en faveur du nouveau texte avec un taux de participation de plus de 72%. A ce titre, il s’agissait plus de répondre au roi, dans un acte d’allégeance modernisé que de répondre, en bonne et due forme, à la question posée. Certains acteurs marocains parlent aussi d’une manipulation éhontée du scrutin, par le régime et ses services, en considérant de surcroît, non sans ironie mordante, qu’il s’agit là, de chiffres “staliniens” !

Nous formulons pour notre part deux hypothèses à ce sujet : premièrement, il se peut très bien, en effet, qu’il y ait eu manipulation des chiffres car il y a de nombreux précédents en la matière. Il est maintenant avéré que le bourrage d’urnes ou l’achat de voix sont des pratiques récurrentes avec, il est vrai, des moyens différents selon les lieux et les époques. Ces pratiques déclinent peut-être mais elles n’en continuent pas moins de rythmer la vie électorale marocaine. Deuxièmement, les acteurs soutenant le texte et par conséquent, appelant à voter “oui”, ont bénéficié d’une couverture médiatique et de relais officiels autrement plus importants que ceux qui s’y opposaient. Ces derniers auraient même parfois été réprimés par la police quand ils manifestaient un peu trop ouvertement contre le texte et/ou en faveur du boycott du référendum.

Les deux types d’acteurs n’étaient donc pas à égalité de traitement devant les citoyens. Souvenons-nous aussi, que la commission de révision de la Constitution, en dépit de la compétence de ses membres qui intrinsèquement n’était pas en cause, était dès les débuts décriée ou contestée par un certain nombre d’acteurs de la scène politique marocaine (je pense notamment au Parti Socialiste Unifié). Pourquoi ? Parce que la nomination des membres de ladite commission a procédé moins du principe de consultation ou d’élection que du pur et simple principe de cooptation. Le roi et ses conseillers auraient imposé les noms. Ce qui, d’une part, a entaché, à tort ou à raison, sa crédibilité et légitimité et d’autre part, discrédité ensuite le résultat des délibérations.

Ainsi, après ce petit détour et pour répondre à présent plus directement à votre question, je dirai que, compte tenu de ce qui est ressorti de la réforme constitutionnelle, notamment le fait marquant sans être pour autant décisif, qu’une plus grande autonomie serait dorénavant concédée au gouvernement et au parlement, il n’est pas possible, objectivement, de parler de “démocratisation” qui est, au passage, un mot fourre-tout destiné bien souvent, à masquer “redéploiement” ou “consolidation” autoritaire tout en donnant l’impression, à l’étranger, d’être sur une pente démocratique.

Je dis cela parce que la question des pouvoirs du roi, malgré les revendications du Mouvement du 20 février (20F), a été littéralement court-circuitée, rejetée, une fois de plus, dans l’impensé collectif. Le roi continue de régner et de gouverner. Par conséquent, il échappe complètement à la sanction démocratique du corps souverain en prenant des décisions bien loin “des humeurs électorales”. Il est donc “irresponsable” tant politiquement que juridiquement. En d’autres termes, il n’a de compte à rendre à personne si ce n’est à lui-même…De ce point de vue, l’annonce de la défection de “La voie démocratique” et du PSU, deux principaux partis de gauche, et l’appel au boycott des acteurs du 20F, sont de très mauvaise augure pour la crédibilité du prochain scrutin.

Nous sommes face à un régime autoritaire dans la mesure où “les gouvernants en place (ici le roi et ses plus proches conseillers) ne soumettent pas réellement le pouvoir aux aléas d’une compétition ouverte lors d’élections pluralistes ; en outre, ils ne tolèrent pas en général l’expression publique de désaccords politiques avec eux.” Le Maroc répond bien à la définition de l’autoritarisme qu’en donne le sociologue Philippe Braud.

Pour autant, il conviendra de faire comme si… et en premier lieu, d’être attentif au taux de participation. Personne ne comprendrait, par exemple, l’engouement pour le référendum et l’absence de motivation pour le scrutin législatif du “renouveau”. Un taux d’abstention important serait par conséquent mortifère.

Quels sont les nouveaux partis en lice dans cette élection, et sont-ils indépendants du système marocain ?

La grande nouveauté, en perspective des élections prochaines, est le “G8” qui regroupe 8 formations : le RNI (Rassemblement National des Indépendants), l’UC (Union Constitutionnelle), le PAM (Parti Authenticité et Modernité), le Parti travailliste, le Parti de la gauche verte, le Parti socialiste, le MP (Mouvement Populaire) et Al-Fadila. Une partie de cette coalition est composée de partis récemment crées tels que le Parti travailliste, le Parti de la gauche verte, le PAM ou Al-Fadila. Les autres sont un peu plus anciens.

Le point commun à tous ces mouvements réside sans doute, dans le fait qu’il s’agit surtout de partis de cadres où les notables sont assez bien représentés. Pour ce qui est de votre question, je vous répondrai, non sans une pointe d’humour ou d’ironie mais de façon très sérieuse, quel est le parti marocain qui, aujourd’hui, peut se prévaloir d’une réelle indépendance vis-à-vis de ce que vous appelez le “système”. Par définition, les partis ou mouvements anti-système, sont à l’extérieur du champ politique institué.

Pour être franc, tous les partis qui participent régulièrement aux élections, en espérant, il est vrai, pour certains d’entre eux réformer de l’intérieur les institutions dans le sens d’une plus grande ouverture politique, sont dans le système dont ils partagent de fait et bon gré mal gré, les effets pervers ou vicissitudes. Et partant, ceux-là participent de la reproduction inlassable des mécanismes de domination et d’allocation du pouvoir sous étroit contrôle de la monarchie.

Au passage, il est possible de formuler l’hypothèse selon laquelle le G8 a aussi pour vocation de minimiser la possible progression du PJD en s’érigeant en une espèce de rempart. En tout état de cause, je crois pouvoir affirmer que le G8 est un opposant certes….mais du système et non au système…

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Comment expliquez-vous l’ arrestation de plusieurs membres du mouvement démocratique du 20 février ?

Le Palais espérait sans doute, après les résultats flatteurs du référendum, marginaliser le mouvement du 20 février. Celui-ci est un mouvement social avec des groupes hétérogènes mais rassemblés autour d’un leitmotiv : créer les conditions véritables d’une monarchie parlementaire au sein de laquelle le roi règne mais ne gouverne pas avec un corps électoral qui puisse être véritablement souverain et maître de son destin. Ces arrestations sont donc une façon de faire taire un certain nombre de militants trop bruyants et de faire peur aux autres en pratiquant ce genre d’intimidations épisodiquement et en quelque sorte, pour l’exemple. Le Palais cherche clairement à faire exploser le collectif en agissant directement sur ses membres car les résultats du référendum ne les ont pas pour autant démobilisés ou démoralisés.

En l’absence du principal mouvement “islamiste ” Al Adl Wal Ihsane (Justice et Bienfaisance), ces élections sont -elles crédibles ?

Avant tout autre chose, encore faudrait-il que le mouvement en question puisse et/ou veuille se transformer en parti politique. L’équation est à plus d’une inconnue…

L’absence du principal mouvement “islamiste” Justice et Bienfaisance ne fait, in fine, que renforcer le discrédit général de ces élections. Il est effectivement symptomatique d’un dysfonctionnement patent des institutions représentatives, qu’un tel mouvement de masse qui, pourtant, reçoit un écho aussi favorable non seulement au Maroc mais également en Europe, avec une base sociale forte, soit absent des scrutins électoraux.

Mais on peut poser la question différemment, si toutefois vous me le permettiez : comment expliquer le retrait de Justice et Bienfaisance de la scène électorale ? Tout simplement parce que ses cadres et militants la considèrent clairement comme “un théâtre d’ombres” où “le roi gouverne” et le “parlement règne”…Si les militants de ce mouvement ont un avantage sur leurs concurrents du Parti de la Justice et du Développement (PJD), c’est au niveau de la constance de leur ligne de conduite qui est restée à peu près la même en quarante ans, à savoir : s’opposer au régime jusqu’à ce qu’il change substantiellement.

Avec le parti de la justice et du développement, la monarchie marocaine n’a-t-elle pas déjà choisi ses islamistes qui sont totalement sous son contrôle ?

Le printemps arabe a été le véritable révélateur des contradictions, des impasses et à certains égards, de la duplicité aussi des islamistes en général et du PJD en particulier ; notamment ceux du “système” qu’on appelle souvent les légitimistes. Il faut savoir, par exemple, que la direction du parti en question a refusé de rallier le mouvement du 20F à l’exception de quelques dirigeants et militants tels que Mustapha Ramid, Al-Habib Choubani etc., qui étaient prêts à démissionner pour marquer leur opposition frontale à cette décision incompréhensible à leurs yeux. Pourquoi ?

Une hypothèse peut-être pour commencer : parce qu’il s’agissait là sans aucun doute, avec les précédents tunisien et égyptien, d’un tournant historique et que c’était la seule manière pour le PJD d’entrer à son tour dans l’ “Histoire” pour apparaître ainsi, sur la scène politique intérieure et extérieure, comme un parti indépendant avec des objectifs réels de démocratisation du régime.

C’est un parti que je suis depuis maintenant quelques années et je peux vous livrer quelques-unes de mes analyses en ne perdant pas de vue la question de départ. C’est un parti qui a été formaté à l’autoritarisme monarchique au sens où les principaux leaders ne cherchent pas ou plus désormais, à conquérir les institutions publiques pour s’aliéner le roi mais au contraire pour être la cheville ouvrière de ses décisions.

Autrement dit, ils ne cherchent pas à prendre le pouvoir mais à le partager avec celui qu’ils considèrent comme un intouchable. C’est pourquoi, ces derniers ne veulent pas entendre parler d’un roi qui règne mais ne gouverne pas…L’actuel secrétaire général Abdelillah Benkirane ne cesse de le répéter en ajoutant, par ailleurs, qu’il ne veut pas d’un modèle à l’espagnol ou à la britannique.

La messe semble être dite même si la base est loin de partager ce point de vue. Enfin, comme j’ai eu l’occasion de l’écrire et de le dire ailleurs, le roi a besoin de ces islamistes légitimistes et ces derniers ont besoin du roi. Les islamistes du PJD, en insistant sur la nécessité de prendre en compte l’islam à tous les niveaux de société, contribuent, nolens volens, à renforcer la légitimité monarchique et la supériorité du roi qui cristallise justement sur sa propre personne les plus hautes fonctions de l’islam en tant que Commandeur des croyants à la fois chef temporel et spirituel.

Propos recueillis par la rédaction

Haoues Seniguer, IEP de Lyon, GREMMO-UMR 5195/Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.

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