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Elections en Irak, résultats officiels

Notre correspondant en Irak analyse les résultats du scrutin des élections législatives qui se sont déroulées le dimanche 30 janvier dans ce pays.

Les électeurs irakiens se sont déplacés en masse le 30 janvier dernier pour choisir leurs représentants au sein de la future assemblée nationale irakienne. La commission électorale qui a annoncé dans un premier temps un chiffre de 72% pour la participation a revu ses estimations à la baisse pour aboutir finalement à un taux de 58% lors de l’annonce officielle des résultats. Cette Assemblée nationale sera notamment chargée de rédiger la nouvelle constitution. Mais elle devra également approuver dans un premier temps le futur gouvernement irakien.

Participation massive mais inégale.

Les Chiites qui représentent 60% de la population n’ont jusqu’à présent jamais eu le pouvoir en Irak. Bien décidés à ne pas laisser passer cette chance, ils se sont mobilisés en force à l’appel de leur représentant religieux le grand ayatollah Ali Sistani pour voter majoritairement en faveur de la liste Alliance Unifiée Irakienne dirigée par Abdel Aziz Al Hakim.

Les Kurdes qui possèdent déjà un statut de région autonome rêvent ouvertement d’indépendance comme le prouve le résultat du référendum parallèle mené clandestinement le jour du scrutin général dans cette région. Le résultat de ce référendum montre en effet que 99% des électeurs Kurdes sont favorables à l’indépendance de leur région. Ils ont donc également voté avec un taux de participation voisin de 90 % lors des élections législatives pour faire valoir leur conception d’un Etat Irakien fédéral. Cette fédération leur permettrait notamment de conserver, voir d’accroître leur autonomie au sein de l’Etat Irakien tout en glissant furtivement mais irrémédiablement vers l’indépendance sans trop éveiller l’attention de leur voisins Turques et Iraniens.

La seule ombre au tableau idyllique de ce dimanche 30 janvier provient de certaines provinces majoritairement sunnites. Les représentants de cette communauté contestent la légitimité de ce processus électorale. Le Comité des Oulémas musulmans, organisme religieux qui gère environ 3000 mosquées sunnites en Irak a appelé au boycott et le Parti Islamique Irakien, principal parti politique sunnite s’est retiré des élections fin décembre 2004. Mais le principal obstacle à la participation des électeurs sunnites reposait sur les conditions de sécurité insuffisantes qui règnent dans certaines provinces. Les terroristes de la branche Al Qaida en Irak avec à leur tête le jordanien Abu Moussab Al Zarqaoui ont menacé de mort les électeurs irakiens en promettant un bain de sang pour le dimanche 30 janvier. Les insurgés, chassés de leur fief de Falouja par l’offensive américaine de novembre 2004 se sont réorganisés dans les provinces de Dyala à l’est de Bagdad, de Salahuddin autour des villes de Samara et Tikrit et la province de Ninive autour de la ville de Mossoul. Le triangle de la mort regroupant les villes de Latyfia et Mahmudia au sud de Bagdad et la capitale elle-même constituent également les principales zones d’opération de cette insurrection.

La participation au scrutin a donc été très faible dans ces dernières zones. Certains bureaux de vote n’ont tout simplement pas pu ouvrir en raison des menaces des terroristes. Cependant, certains sunnites ont fait valoir leurs droits de citoyens au mépris du danger qui pèse désormais sur leur famille. Ainsi la participation dans ces zones, même si elle reste très faible est tout de même supérieure à toutes les attentes.

Résultats officiels

La commission électorale a annoncé les résultats officiels des élections générales du 30 janvier. La liste d’Alliance Unifiée Irakienne conduite par Abdel Aziz Al Hakim et parrainée par le grand ayatollah Ali Sistani arrive donc largement en tête du scrutin en obtenant 47,6% des suffrages. Ce résultat devrait lui permettre d’obtenir 132 sièges sur les 275 que comptera la nouvelle assemblée nationale irakienne. La liste Kurde unifiée arrive en deuxième position avec 25,4% des suffrages. La liste du Premier ministre sortant Iyad Allaoui arrive en troisième position avec seulement 13,6% des suffrages , ce qui constitue un véritable désaveux de la politique menée par ce gouvernement mis en place avec l’appui de l’administration américaine.

La nouvelle Assemblée nationale Irakienne ainsi élue doit dans un premier temps choisir un Conseil de Présidence composé d’un président et de deux vice-présidents. Le principal candidat à la présidence irakienne est le leader Kurde Jalal Talabani. Ce conseil doit ensuite nommer un premier ministre chargé de former le futur gouvernement irakien, qui devra également être approuvé par une majorité de l’Assemblée nationale. Les principaux candidats à la fonction de Premier ministre sont Adel Abdel Mahdi, Ministre des finances sortant et membre du Conseil Supérieur de la Révolution Islamique en Irak, Ibrahim Al Jafari, membre du parti Da’wa, Hussein Charistani, ancien scientifique spécialisé dans la recherche nucléaire et Ahmed Chalabi, leader du Congrès National Irakien.

Dans les mois à venir, l’Assemblée nationale devra principalement débattre des différents paragraphes de la future constitution permanente irakienne. Cette dernière devrait alors normalement être approuvée par un référendum national en octobre 2005.

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Tous les représentants des partis politiques élus au sein de l’Assemblée nationale ont lancé un appel aux représentants de la communauté sunnite pour les inviter à participer à la rédaction de la constitution permanente irakienne malgré leur boycott ou leur retrait du processus électoral. Il est en effet évident que la rédaction de la future constitution du pays ne peut se faire en l’absence des représentants de toute une partie de la population. Cette constitution qui doit être approuvée par un référendum national peut en effet être invalidée, selon l’article 61C de la loi de transition irakienne, par un vote négatif de deux tiers des électeurs d’au moins trois provinces. Les organisations sunnites qui sont actuellement en pleine restructuration ont agité cette menace du rejet de la future constitution par les membres de la communauté sunnite, si leurs exigences n’étaient pas prises en compte. La seule inconnue dans cette négociation repose sur l’influence réelle et la représentativité de ces organisations politiques ou religieuses sunnites sur les membres de leur communauté.

Retrait des forces d’occupation.

De nombreux experts, consultants et spécialistes occidentaux en tous genres ont essayé d’interpréter la participation massive des électeurs irakiens au scrutin du 30 janvier comme l’approbation de la politique américaine. A travers ce vote, les irakiens ne se sont pas exprimés pour ou contre le maintient des forces américaines en Irak. Ils souhaitent en effet unanimement le départ des troupes d’occupation à plus ou moins longs termes. Cependant, les représentants politiques irakiens les plus lucides sont conscients que ce retrait ne peut pas se faire dans l’immédiat. Les forces de sécurité nationales ne sont pas prêtes à prendre le relais et assurer la sécurité du pays. Mais l’administration américaine devra impérativement annoncer prochainement de façon claire et précise ses intentions dans ce domaine. Le silence de Washington sur le sujet jette en effet le doute sur les ambitions réelles des néo-conservateurs américains.

Le retrait des forces d’occupation constitue la priorité des différents programmes électoraux de tous les partis politiques irakiens. Les représentants de l’Assemblée nationale et du gouvernement récemment élus doivent donc obtenir impérativement des résultats rapides et concrets dans ce domaine. Le Comité des Oulémas Musulmans, organisme religieux sunnite a déjà déclaré à plusieurs reprises que sa participation à la rédaction de la future constitution permanente du pays était subordonnée à l’annonce d’un plan de retrait des forces d’occupation par les Etats-Unis. A l’autre bout de la scène politico-religieuse irakienne, les partisans du leader chiite Moqtada Al Sadr réclament également fermement le départ des troupes américaines du territoire irakien. Le Jaish Al Mahdi, la milice du courant Saderien a déjà une solide expérience des affrontements avec les troupes US.

Mais il n’est pas évident que le départ des troupes américaines entraîne inéluctablement la fin de la violence. Les insurgés salafistes appuyés par d’anciens membres des services du parti Baath ont en effet d’autres ambitions pour l’Irak comme le montrent les dernières attaques très violentes contre les forces de sécurité nationales.

La garde nationale et la police irakienne devront alors assurer seules la sécurité de la population face à des terroristes bien déterminés à imposer par la force leur vision passéiste et intégriste de l’Islam.

Les scénarios les plus probables avancés par les spécialistes de défense reposent sur une période de 12 à 18 mois de formation pour constituer une armée irakienne autonome et convenablement préparée à ce type de combat. A l’issue de cette période, les effectifs des troupes américaines pourraient être réduites de moitié et passer ainsi de 130 000 à environ 60 000 hommes. Ces derniers seraient alors regroupés sur une dizaine de bases stratégiques réparties sur le territoire irakien. Après une période de 5 ans, les troupes américaines devraient normalement évacuer totalement le pays !

Ce scénario est presque parfait. Malheureusement la situation en Irak est tellement chaotique que nul ne peut prévoir ce que sera ce pays dans cinq ans. Le peuple Irakien en tous cas, a placé tous ses espoirs dans ce scrutin du 30 janvier dernier. Les électeurs attendent des résultats rapides et concrets de la part du nouveau gouvernement. Si la situation évolue favorablement, alors l’Irak sera un exemple pour de nombreux pays du Moyen Orient. Si rien ne change dans les prochains mois, le pays va s’enfoncer inexorablement dans la violence et les troubles pour de longues années.

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