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Edward Said et la responsabilité des intellectuels

“Pour une définition de l’intellectuel musulman”. Vaste programme, me suis-je dit, en découvrant le titre, très prometteur, de l’article de Houari Bouissa publié sur oumma. Découvrant que l’auteur était un “historien des mentalités”, je me suis plongé dans sa lecture avec intérêt. Si plusieurs éléments sont frappés au coin du bon sens, si d’autres éléments méritent d’être discutés car ils contiennent une part de vérité, certains jugements très péremptoires doivent être relevés et contestés. En effet, je suis profondément surpris lorsque M. Bouissa écrit, à propos du très regretté Edward Said, que sa thèse “a certainement provoqué la rupture idéologique entre l’Orient et l’Occident”. Ceci est faux car l’objectif d’Edward Said était exactement l’inverse, à savoir mettre un terme aux préjugés ancestraux que les uns avaient sur les autres, en montrant que ce que des chercheurs et politologues partisans désignaient par le terme générique “Orient” n’était qu’une construction idéologique qui avait peu de rapports avec la réalité des sociétés arabes, musulmanes et asiatiques. Pour soutenir son idée, M. Bouissa rappelle les travaux de Jacques Berque et de Louis Massignon. Or, s’il avait lu attentivement L’Orientalisme d’Edward Said, M. Bouissa se serait rendu compte que cet ouvrage était particulièrement élogieux pour l’école orientaliste française, alors représentée par Massignon, Berque et Maxime Rodinson. Ceux qui étaient dans la ligne de mire d’Edward Said étaient des orientalistes britanniques ou américains comme Bernard Lewis, qui déversaient leur haine de l’islam et des arabes sous le couvert d’une fausse érudition et pour atteindre des objectifs politiques précis. Il suffit de savoir qu’aujourd’hui, Bernard Lewis est l’un des principaux conseillers de Dick Cheney et du Pentagone pour réaliser que Said avait visé juste. Bernard Lewis a été l’un des principaux instigateurs de l’invasion de l’Irak. Quant à Mohammed Arkoun, que cite M. Bouissa, il a dit à maintes reprises son admiration et son amitié pour Edward Said

M. Bouissa a raison de dire que l’intellectuel musulman ne doit pas s’enfermer dans le discours tiers mondiste. Mais ce n’est pas par tiers mondisme qu’Edward Said a combattu toute sa vie, mais uniquement par amour de la vérité et de la justice.

Dans un autre de ses ouvrages majeurs, Des intellectuels et du pouvoir, (Seuil), Edward Said rappelait que l’engagement d’un intellectuel, pour être noble, ne devait pas émaner de sa filiation, mais de son affiliation, donc de son désir de voir le bien triompher. Il ne s’agit donc pas pour l’intellectuel musulman de défendre sa religion ou sa “tribu” contre les autres religions et “tribus”, mais de défendre des valeurs humanistes qui doivent être partagées par tous. Edward Said est né dans une famille chrétienne protestante en Palestine, et ceci ne l’a pas empêché d’être à l’avant garde du combat contre la diabolisation des arabes et des musulmans. Il ne l’a pas fait pour défendre “les siens”, mais parce que cela était juste, tout simplement. S’il avait vécu dans les années trente, Edward Said aurait bien évidemment défendu le peuple juif alors que celui-ci était victime de préjugés qui ont conduit à son annihilation.

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C’est cela le rôle de l’intellectuel, qu’il soit musulman, juif, chrétien, boudhiste ou athée.
Dire la vérité au pouvoir, s’opposer aux injustices institutionnalisées, combattre les idées reçues et les préjugés. 

Je rejoins tout à fait M. Bouissa lorsqu’il écrit, dans sa dernière phrase qu’il faut “déreligionniser les débats” et que les réflexions d’un intellectuel doivent absolument s’inscrire dans l’universel. C’était précisément la leçon d’Edward Said et c’est la raison pour laquelle M. Bouissa aurait du éviter de porter des jugements aussi peu nuancés sur l’oeuvre de cet immense intellectuel dont la voix manque à tous les assoiffés de justice de par le monde.

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