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Les religions minoritaires et l’État en France de Napoléon à nos jours

Vers la séparation des églises et de l’Etat.

LE SIECLE DES SYNAGOGUES ET DE L’ANTISEMITISME.

Après avoir été organisée par la puissante volonté « constituante » de l’empereur, qui a structuré la France contemporaine, la religion juive a été administrée en vertu des Articles organiques adjoints par Napoléon, alors premier Consul, au concordat de 1801. C’était la quatrième religion de la France. Elle venait après la religion catholique, apostolique et romaine, reconnue par la république, dans l’introduction au concordat, comme la religion de l’immense majorité des citoyens français. Elle venait après les deux formes de protestantisme que sont l’église réformée et le luthéranisme.

Le XIXe siècle allait ensuite être un siècle d’or pour le judaïsme de France. De nombreuses synagogues seraient construites mais la période se terminerait sur un coup de semonce, l’affaire Dreyfus, qui divisa la France et permit l’expression d’une forme nouvelle de rejet des juifs, non plus seulement religieux, mais aussi ultra national ; l’antisémitisme.

La déconfessionnalisation de 1905

Après cette affaire, qui marque encore la conscience nationale française, à la suite d’une longue évolution idéologique, accélérée à partir de l’établissement de la IIIe République, l’Etat se déconfessionnalise totalement par une loi de séparation ( CF lien : http://oumma.com/article.php3 ?id_article=1946).

Initialement proposée sous la présidence du Conseil d’Emile Combes dans un esprit anticlérical, cette loi est préparée par Aristide Briand, conseillé par le protestant Louis Méjean (voir note 4 de l’article sur la dernière guerre de religion et Henri IV). Elle n’est pas aussi défavorable à l’Eglise que les défenseurs d’un Etat confessionnel ont voulu le faire croire. Elle est toutefois un événement symbolique fort pour une France qui s’est toujours perçue comme profondément chrétienne depuis le baptême de Clovis, avec un Etat confessionnel depuis un millénaire et demi.

Quoi qu’il en soit, une page est tournée au début du XXe siècle. Il n’est pas de notre propos d’évoquer plus précisément cette séparation qui concerne la religion majoritaire de la France. Rappelons simplement que les religions minoritaires se sont inscrites sans aucune difficulté dans le cadre réglementaire de la loi du 9 décembre 1905 qui régit depuis un siècle les relations de la république et des religions.

Au demeurant, que signifie religion minoritaire dans un Etat totalement déconfessionnalisé ? Apparemment plus rien, puisque la république ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. La question reste pourtant posée de savoir si les mentalités ont été aussi déconfessionnalisées qu’on le dit. Le religieux est en effet tellement fondamental dans les sociétés humaines, tellement constitutif de leurs organisations, tellement présent dans les cultures et les histoires que, si la république ne reconnaît aucun culte, elle ne s’est pas débarrassée pour autant de toute question religieuse en imposant la séparation des Eglises et de l’Etat.

La question d’une nouvelle religion en France.

Il suffit de voir ce qui se passe depuis quelque temps en France, avec une religion exogène, pour se convaincre de l’évidence que la république est loin d’en avoir fini avec le religieux sur le territoire de l’hexagone. Cette religion exogène, récemment inscrite dans l’histoire et la société française, c’est l’islam. Elle peut être qualifiée de religion minoritaire, ou du moins, pour être plus rigoureux, de référence culturelle et religieuse d’une minorité.

Il convient, pour réfléchir à la question de son administration par l’Etat, de comprendre un certain nombre de réalités. Il s’agit, comme l’on dit désormais, de penser l’islam en France. Or, pour analyser une question, la démarche préalable est de savoir avant toute chose de quoi l’on parle. De notre point de vue, on parle d’un événement historique dont la nouveauté est radicale aussi bien pour la France que pour les musulmans. Il faut, dès lors, identifier la nature de la nouveauté historique islam de France dans le champ géopolitique global. Il faut ensuite situer les structures de longue durée et les éléments essentiels qui ont déterminé l’attitude de l’Etat français face à ce qui est inclus dans le concept de religion.

DES TRACES MUSULMANES DANS L’HISTOIRE DE FRANCE.

Dans la longue histoire que nous avons évoquée, la présence musulmane est épisodique au point que nous n’en avons pas parlé. Il y eut des musulmans espagnols dans le Midi et les Alpes pendant le haut Moyen-âge. Il y eut un passage des Morisques d’Espagne à l’extrême fin du règne d’Henri IV, au début du XVIIe siècle. Les guerres de religion venaient de finir et ni le souverain ni son premier ministre Sully ne souhaitaient administrer une troisième religion. Les Morisques durent donc s’embarquer pour le Maghreb ou s’assimiler et certains demeurèrent. Il y eut des groupes musulmans, poussés par des aventures épisodiques, arrivant sur le territoire français. Nombre d’entre eux furent des populations razziés dans des ports maghrébins pour servir sur les galères royales. Parfois évadés avec leurs compagnons de chaîne protestants, ils arrivaient à gagner les refuges du Désert et partageaient la croyance et le sort de leurs hôtes. Ils disparaissent tous dans une totale assimilation par christianisation et leurs descendants ne gardent aucune mémoire d’eux.

Cette tendance à l’assimilation des musulmans lorsqu’ils purent résider durablement en Europe occidentale, est une constante de l’histoire. Les cas ne sont pas innombrables, mais ils existent, jusqu’à la fin du XIXe siècle.

LE POIDS DEMOGRAPHIQUE ACTUEL DES MUSULMANS DE FRANCE.

Les choses changent à partir du moment où d’assez importantes forces humaines, pour le travail ou pour la guerre, sont importées des terres musulmanes du Maghreb par le colonisateur. Dès lors s’institue une présence en France de musulmans voués à un retour vers leur pays natal. Leur stratégie n’est plus celle de leurs prédécesseurs occasionnels, arrivés en Europe occidentale dans de toutes autres conditions et sans espoir de retour. Ils organisent tant bien que mal leur survie en tant que musulmans dans la France contemporaine.

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Chacun connaît l’évolution de cette migration. Elle s’accélère pendant les trente glorieuses, en fonction des besoins de l’industrie. L’arrivée des familles transforme la structure de cette nouvelle minorité. Ce ne sont plus des hommes seuls qui la composent mais des groupes familiaux. Ces groupes familiaux, comme tous ceux du monde sous-développé, sont dans la phase que les démographes appellent transition démographique. Chaque couple a entre six et sept enfants en moyenne, comme dans les pays d’origine. De ce fait, dans les années soixante-dix du XXe siècle, la population musulmane en France augmente plus par naissance de musulmans sur le sol hexagonal que par de nouvelles arrivées des pays d’islam.

Il n’y a aucun chiffre sérieux et fiable, reconnu par les démographes concernant la population musulmane en France. Pourtant, peu de personnes contestent qu’elle ait considérablement augmenté et nul ne met en cause un pourcentage minimum de cinq pour cent de musulmans par rapport à l’ensemble de la population française. Ce consensus est-il une garantie d’exactitude scientifique ? Certainement pas. Cependant, bien des administrations, des centres de décision, des analystes, se conduisent comme si ce chiffre était fiable.

Si l’historien les suivait, il pourrait relever, en considérant une autre estimation, que le pourcentage des musulmans en France aujourd’hui est comparable à celui des protestants au temps de leur puissance, pendant les guerres de religion. Ce pourcentage serait trente fois plus important que celui des juifs en France à l’époque de Napoléon.

LE POIDS DEMOGRAPHIQUE DE L’ISLAM DANS LE MONDE.

On peut mesurer, par de telles comparaisons, même hasardeuses, dans quelles échelles est à situer la réalité musulmane en France, en regard de ce que furent les autres minorités dans son histoire.

Si l’on considère maintenant la situation sous un angle géopolitique et démographique, un parallèle s’impose et ne manque pas de nous éclairer, le parallèle entre l’Europe et le monde musulman actuels.

L’Europe s’étend de l’Atlantique à l’Oural. Nous pouvons évaluer sa population totale à plus de 720 millions d’habitants. Cette population vieillit, se renouvelle difficilement et baisse dans un certain nombre de pays. C’est le cas en particulier dans d’anciennes nations communistes, comme la Russie, l’Ukraine, des régions issues de la Yougoslavie, la Roumanie, la Bulgarie, la Tchéquie, la Hongrie. Elle baisse aussi au Portugal, en Espagne et en Italie. L’Allemagne de même commence à se poser le problème de sa dénatalité. Seule la France paraît tirer son épingle du jeu. Grâce à ses écoles maternelles, dit-on, mais de mauvais esprits font remarquer le nombre de petits Maghrébins dans ces écoles maternelles et dans toutes les autres. De là à dire que la France évite la dénatalité grâce à sa population musulmane, il y a un pas que les mêmes mauvais esprits ont vite franchi.

Parallèlement, sur la rive sud de la Méditerranée, la population de pays comme le Maghreb et l’Egypte a connu au moins un triplement, si ce n’est pas un quadruplement, pendant la deuxième moitié du XXe siècle.

Plus à l’est, à la frontière sud de l’ex U.R.S.S., la population de la Turquie a été multipliée par un et demi en vingt ans et celle de l’Iran a plus que doublé. Dans des régions musulmanes plus lointaines, comme le Pakistan, le Bangladesh, l’Indonésie, l’accroissement est à peu près analogue, sur des échelles deux fois plus importantes, de l’ordre de 120 à 150 millions d’habitants. Il faut donc considérer que la relation d’une Europe vieillissante et démographiquement affaiblie avec un monde musulman proche, pourvu de populations en forte croissance, peuplé de masses de jeunes, n’est plus comparable à celle qui prévalait il y a seulement un demi-siècle. Quelles seront les conséquences de cette différence démographique ? Nous en connaissons déjà une dans le fait qu’une population musulmane vit actuellement en France. Elle est proportionnellement aussi nombreuse, que la population protestante au temps de sa plus grande influence.

La question est donc posée de savoir que faire de ce cas nouveau et totalement inédit d’une présence musulmane notable sur le territoire français européen. Ce n’est pas un problème accessoire de gestion d’une immigration, d’intégration, comme l’on dit, c’est un problème planétaire de relation entre des grands secteurs géopolitiques, culturels, économiques et démographiques. On peut ne pas le voir du tout, à la manière de l’homme politique moyen de notre pays, enferré soit sur ses questions d’intendance, qui lui donnent l’illusion de comprendre le réel, soit sur ses torpeurs idéologiques. On peut le voir comme un affrontement de civilisations, ainsi qu’on s’y obstine chez les idéologues du refus de l’autre et de l’enfermement sur soi. On peut le voir comme un élément à prendre en compte dans nos manières d’envisager l’avenir, et c’est ce qui parait le moins déraisonnable.


Cette analyse en sept parties, à partir de brefs rappels historiques, tentera de retracer l’évolution des manières d’administrer la différence religieuse dans notre pays, marquées par une très longue domination idéologique de l’Eglise catholique et par une exigence constante d’autonomie de l’Etat royal, et des régimes qui lui ont succédé, à l’égard des autorités centrales de cette Eglise.

  1. La minorité religieuse et son traitement au Moyen Age ;
  2. La Renaissance et les guerres de religion ;
  3. La dernière guerre de religion et Henri IV ;
  4. L’Etat royal et les minorités religieuses de l’Edit de Nantes jusqu’à la Révolution ;
  5. La Révolution et l’Empire face aux religions ;
  6. De Napoléon à nos jours ;
  7. Les structures de la relation entre spirituel et temporel en France.
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