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Carnet américain – Obama : historique et vulnérable

Les Américains, qui pourtant se targuent de relever tous les défis, ont appris à ne jamais avoir peur pour les autres, mais pour eux-mêmes seulement. Ainsi en est-il de la manière dont les abus contre les droits de l’homme en Irak ou dans les camps de Guantanamo ont vite été escamotés des discours de la campagne électorale. L’énorme défi écologique, lui, ne trouve écho que dans le programme démocrate et encore par la tangente.

Le coeur de la campagne présidentielle bat dans la problématique d’une économie en état de confusion, plus précisément incertaine de dominer encore le monde dans les décennies à venir. Au risque pour Obama et McCain de verser dans l’isolationisme, les points névralgiques de la planète et les responsabilités américaines de l’hyperpuissance sont néanmoins passés au second plan dans une nation qui traverse sa crise la plus profonde depuis la fin des années 1970.

McCain répète tranquillement que tout entrera dans l’ordre une fois un nouveau plan de réductions d’impôts mis en place, le tout accompagné d’un vaste réseau de forages pétroliers dans le golfe du Mexique et en Alaska, et enfin d’un nettoyage en dûe forme des groupes de pression au Congrés, qui mettent à mal le jeu de la représentation démocratique. La guerre continue, c’est bon pour le business et cela montre à la Chine qu’elle doit bien se tenir. A part ça, c’est le désert de propositions républicaines dans un pays qui croule sous les déficits, dont les infrastructures (routières, hospitalières, établissements scolaires, etc.) ont atteint le point de rupture, qui continue de subir les effets dévastateurs de la débâcle immobilière, ou qui voit le taux de chômage en augmentation d’un mois à l’autre tandis que les salaires reculent.

Toutes les raisons sont réunies pour attendre le Messie au sortir des urnes. Ce qu’Obama a profondément modifié dans le discours politique, c’est justement cette notion que le gouvernement seul a les moyens de résoudre les problèmes qui assaillent les États-Unis. Il ne passe même plus de temps à égrainer les erreurs monumentales de l’administration Bush. Aujourd’hui prononcer le nom du président c’est déjà mettre en évidence les dimension du désastre de ces huit dernières années. Obama sait que sur le fond des choses, ses compatriotes ne peuvent plus se permettre le luxe de la colère : ils leur faut des solutions claires, applicables, réalistes, et durables.

La force d’Obama réside dans le fait qu’il s’elève au-dessus du rôle que lui prêterait sa situation : à la fois une voix issue de la minorité, et aussi un batârd (dans le sens sartrien de celui qui concilie deux conditions), blanc et africain. Obama a réduit la distance entre les identités pour y trouver sa liberté de ton et d’action. Il veut décloisonner les relativismes pour mettre chacun face à ses droits et ses responsabilités.

Tandis que des générations durant les chefs de partis et organisations noirs se sont drapés dans un discours militant ethnique, tantôt révolutionnaire tantôt religieux, Obama a vite compris que cela-même qui les séduisait dans l’engagement les condamnait dans le résultat. Il laisse à d’autres le soin de dire s’il est un bon noir, un bon Américain, tout en s’arrogeant, pour la première fois, l’autorité d’un candidat de standing international. Peu importe le cliché, mais le soir où Barack Obama a accepté l’investiture du parti démocrate fut véritablement historique. A l’heure des informations express, on n’a sans doute pas encore perçu toute la portée de l’évènement.

Pourtant le mérite du changement est peu de chose puisque tout reste à faire dans ce grand pays où les médias se sont compromis dans leur collusion avec l’administration Bush lors de l’invasion de l’Irak, et où également le fossé entre les plus riches et le reste n’aura jamais été aussi profond. Rappelons que 1% de la population détient 35% de la richesse nationale. La presse et la télévision ont bon dos de vanter les valeurs américaines authentiques à travers leur couverture fascinée de la candidature d’Obama, alors qu’en 2003, à la veille de l’invasion de l’Irak, ces mêmes médias étaient saisis d’un délire nationaliste post-11 septembre. Il fallait régler son compte à tout ce qui péchait par sa qualité d’arabe ou de musulman. Aujourd’hui Barack Hussein Obama, dans un effet de symétrie inverse, est devenu l’emblème d’une Amérique réconciliée avec elle-même. Ou presque.

La conception que les médias et le monde politique américains se font de la race émane davantage d’un sentiment de culpabilité que d’une quête de vérité raisonnée. Personne n’y gagne, mais personne ne semble en souffrir non plus. Obama, lui même, semble accepter la règle du jeu du non-dit et des euphémismes. Dans ses discours il met en scène sa maman et ses sacrifices de mère-fille issue de la classe ouvrière.

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On ressort le père kényan du placard lorsque que les scrupules multiculturels sont trop forts, et sans quoi tout est dévalorisé. Parce qu’il ne vient pas du ghetto de Philadelphie, de Détroit, ou de toute autre grande ville sinistrée par des décennies de désengagement public, Obama suffit à redonner à l’Amérique sa crédibiblité internationale. La tournée au Proche-Orient ou le discours de Berlin du mois d’août illustrent ces attentes. Il fait en quelque sorte coup double : Obama court-circuite la problématique de la condition noire aux États-Unis tout en démontrant que son parcours n’aura été possible nulle par ailleurs que dans son pays.

Ceux qui jouent le mieux sur le registre de la race en politique sont les républicains. Ils tiennent pour maître Nixon qui, après que Johnson a signé la loi sur les droits civiques, a retourné le Sud démocrate (et ségrégationiste) en bastion de l’ultra-conservatisme, voué depuis Bush-fils aux errements de l’intégrisme protestant. Mais comment fonctionne cet encodage raciste anti-Obama ? De manière plutôt simple. Surtout on ne vise pas un individu ou un groupe ethnique particuliers. Le discours républicain va chercher à stigmatiser une crise sociale : travail illégal, violence urbaine, sida, échec scolaire, etc. Reste à l’électeur à reconnaitre un coupable à travers le fait social. La tâche des républicains est d’autant plus aisée que les démocrates gardent un silence gêné sur ces questions qui sont censées être au coeur même de leur programme et action politiques.

Cet été par exemple, n’a-t-on pas entendu dire de la part de Lynn Westmoreland, un représentant républicain de Georgie, que Barack Obama et sa femme, Michelle, sont “uppity”. A un premier niveau on pourrait comprendre que cet élu blanc du Sud traite le couple Obama de snob, de m’as-tu-vu. En vérité dans la culture sudiste le terme “uppity” se réfère aux noirs qui, durant la période qui a précédé la lutte des droits civiques, étaient suffisamment instruits pour faire valoir leurs droits, notamment sur le lieu de travail. Pour étouffer tout voeu d’émancipation, il s’en suivait que ces noirs “uppity” étaient humiliés, licenciés, poussés à l’exil vers les villes du Nord, ou punis par lynchage. Entre 1900 et 1910 le nombre officiel de lynchages contre les noirs (on visait aussi les catholiques, les juifs, les homosexuels, etc.) depasse les 800. L’idée de jadis, comme celle d’aujourd’hui, est que chacun devrait rester à sa place.

Dans le même registre des subtilités racistes, Geoff Davis, un représentant républicain du Kentucky, a déclaré au sujet d’Obama : “Pas question que ce ‘boy’ puisse poser le doigt sur le bouton nucléaire”. Sommé de s’expliquer, l’élu blanc a précisé qu’il faisait allusion aux 26 ans de différence d’âge entre les deux candidats, et qu’Obama, comparé à McCain, lui semblait manquer de mâturité d’où le terme de “boy”. D’aucuns se sont pressés de lui rappeler que durant la crise des missiles à Cuba, Kennedy avait le même âge qu’Obama aujourd’hui. Le fin mot est que les républicains ne peuvent pas se permettre de s’aliéner l’électorat blanc, chrétien, et que parfois ils se rendent coupables des dérapages les plus obscènes.

De son côté Obama ne se livre à aucune réaction face au racisme et d’une certaine manière il se place dans un rapport politique national tourné vers l’avenir où justement les blancs, protestants, ne constituent plus la majorité, comme ce sera le cas dès 2040. C’est peut-être là le signe de mâturité chez lui. Tout n’est pas gagné pour autant. Dans le camp démocrate on sait qu’il y a un noyau dur de 20% environ qui préfèrera McCain à un candidat noir. Peu importe qu’une administration républicaine continue de sacrifier les intérêts de la classe moyenne sur l’autel d’un capitalisme de plus en plus débridé, il y aura toujours des blancs qui voient en Obama un faux Américain, ou un Américain qui ne sied pas à la Maison Blanche.

Quand bien même Obama se concentre à 100% sur les questions économiques, la réalité de son identité reflue sur sa campagne. Parfois on apprend que les services secrets mettent déjà en place les scénarios anti-attentats si Obama venait à devenir le prochain président. Ainsi le goût de l’ambition politique partage-t-il chez lui la saveur de l’existence. C’est bien ici que nous approchons le vrai problème politique américain aujourd’hui. L’idéologie républicaine tient à ce qu’elle obéit à moins de règles possibles. En d’autres termes, et au sens vulgaire, c’est l’anarchie teintée d’un soupçon de morale chrétienne qui suffirait à son homme. Obama, lui, cherche à redonner un ordre, par la même une dignité, à ce que signifie être américain : se faire exister pour ne plus se faire avoir. Et ça ce n’est pas un rêve, mais l’histoire.

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