in ,

Carnet américain – Morne campagne ? Pas vraiment

L’élection américaine est entrée dans sa dernière ligne droite, mais pas sa dernière phase. Une fois terminés les débats télévisés entre les deux candidats à la présidence, on a le sentiment que McCain s’est dépensé en futilités, en rancoeur paternaliste et raciste qui ne dit pas son nom. Sans doute déteste-t-il au plus au point la pensée d’être le premier républicain à être battu par un noir. A chacun sa dévolution politique. Dans notre référent médiatique désormais perpétuel, il est vrai que McCain pourrait passer pour le sosie de Charlie Chaplin dans ses vieux jours, avec tout de même beaucoup moins de talent que l’artiste, comme l’ont découvert et l’électeur américain et les cadres du parti républicain qui commencent d’entrevoir la portée leur erreur.

McCain a toujours l’air de se demander pourquoi la victoire ne lui tend pas les bras, lui qui a tant attendu : cinq années prsionnier de guerre, vingt-six ans au Sénat, deux campagnes présidentielles. Derrière ce jeu d’attentes et de privilèges croisés (entré à l’École de Marine grâce au papa amiral), peut-être y-a-t-il un embarras à admettre que le sénateur de l’Arizona a son avenir dans son dos, et que de manière générale les républicains vont devoir se préparer à leur traversée du désert. Bien sûr l’héritage catastrophique de George W. Bush y est pour quelque chose. Mais avec le recul de ces quelques mois de campagne nul n’a à choisir entre un président incapable et un candidat républicain dépassé par les enjeux économiques et de politique étrangère. Le divorce fondateur, c’est celui d’un homme qui va enfin faire entrer l’Amérique dans le XXIème siècle.

En janvier personne ne soupçonnait que le jeune sénateur de l’Illinois se retrouverait à faire la course en tête au mois d’octobre. Il est toujours bon de rappeler le prodigieux parcours de Barack Obama. Si aujourd’hui il surclasse son adversaire républicain, c’est surtout parce qu’il a réussi à contenir la machine des Clinton, après une interminable primaire chez les démocrates. Battre Hilary Clinton ne fut pas chose aisée. La politicienne est brillante, elle a du caractère, et l’on peut, sans s’abuser, la qualifier de présidentiable. Qui plus est, elle avait l’avantage d’avoir à ses côtés le président américain le plus populaire depuis Reagan. Cela n’a pas suffi : on sait aujourd’hui qu’il n’y a pas de continuité du phénomène présidentiel, un Clinton n’en remplacera pas un autre. Obama ne s’est pas donné de répit, et ce dans un système qui ne lui en a laissé aucun.

Sans doute vit-on une coupure qui n’est ni politique ni économique : c’est l’heure d’Obama, par nature, a-t-on envie d’ajouter. Pas étonnant que d’aucuns le verraient bien comme le premier président du monde, c’est-à-dire une Amérique sans rivages, la médiation absolue du pays sans nom. Obama a fait ses classes de candidat auprès des meilleurs et en une saison seulement. John McCain en comparaison n’a rien de nouveau ni de salutaire à offrir à la nation. Ses performances télévisées tournent vite au numéro du vieux conservateur aigri, qui maîtrise mal les données du nouveau paysage économique. Et son dada militaire, que constitue l’invasion américaine de l’Irak, tend à démontrer là encore qu’il eut fallu éviter qu’il se pose en grand stratège.

Si la campagne militaire de décembre dernier porte ses fruits, c’est parce que l’Irak vit à l’heure de l’épuration ethnique, comme il a été démontré par les organisations des droits de l’homme les plus reconnues, et que les groupes religieux ou ethniques se sont confinés à de nouveaux ghettos de gré ou de force. Le nombre de soldats américains postés à chaque carrefour de Baghdad, ou dans les villages du nord et de l’ouest (le sud étant passé sous l’ascendant iranien), ne sert finalement qu’à entretenir l’illusion de paix. C’est aussi cette illusion qui est devenue le leitmotiv de la politique étrangère de McCain. Mais jusqu’à quand, et à quel prix, les États-Unis vont-ils se payer la paix au Proche-Orient ? A cela McCain n’offre pas de programme raisonné. Disons plutôt qu’il se voit bien se libérer d’une guerre, en Irak, pour s’enfoncer dans une autre, en Iran.

Obama, lui, parle de retrait, il veut dire en vérité qu’il est temps de revenir aux problèmes intérieurs américains. Il n’a pas craint, dans les moments où à droite on l’accusait d’agiter le drapeau blanc, de relancer l’idée de la diplomatie, c’est-à-dire de la négociation avec ses ennemis. Reste aussi la question de la crédibilité internationale des États-Unis, largement entachée par le camp de Guantanamo, où les prisonniers sont tout à la fois victimes de la torture et abandonnés dans des limbes du droit américain et international.

Obama sait très bien qu’une nation qui s’abaisse à de tels comportements est déchue, elle trahit sa propre histoire. Fermer le camp sera une priorité, même si Obama, pour ne pas être en reste de machisme diplomatique face au prétendu héros militaire qu’est McCain (le même individu qui a écrasé quatre avions et a été fait prisonnier par le Viêt-cong parce qu’il avait désobéi aux ordres de ses supérieurs), réaffirme qu’il portera le combat jusqu’au Pakistan si les preuves concordent sur la présence de Ben Laden dans les provinces occidentales de l’allié d’Islamabad.

Publicité
Publicité
Publicité

Cette caractéristique d’égard et de force est essentielle au programme d’Obama car il confère à sa candidature une légitimité qui jadis fut immédiatement contredite par l’appartenance ethnique. Un africain américain se devait d’être un militant. Obama ne se pose pas en rédempteur de l’anti-racisme, en agent de recyclage des droits civiques. Son habileté réside dans le fait est qu’il est devenu un candidat dans la continuité historique nationale constituée par la volonté et le geste commun d’une majorité des citoyens qui le choisiront. Aussi faut-il s’éviter des illusions. Obama n’est pas le messie. Entendons par là que le talent ou l’efficacité du candidat démocrate se mesure à sa capacité à demeurer dans le juste milieu, c’est-à-dire aussi éloigné que possible du jusqu’au-boutisme façon George W. Bush et d’un retour vers l’idée d’un gouvernement omnipotent. Obama a saisi à leur juste valeur les transformations de l’État à travers celles des institutions, des mouvements sociaux, et de la nouvelle donne internationale.

McCain, lui, en s’enferrant dans une dérégulation fiscale à tout crin et des schémas industriels obsolètes démontre qu’il est toujours prisonnier de l’idéologie néoconservatrice qui conçoit le libéralisme comme extension nationale. Naturellement tandis que ce discours se concentre sur les lois du marché, le citoyen devient une abstraction. Les électeurs l’ont bien compris et c’est là une des raisons de son effondrement dans les sondages. McCain par exemple continue de tabler sur le secteur privé des compagnies d’assurance pour escamoter la question de la non-existence d’une couverture médicale publique qui fonctionnerait sur le modèle adopté par toutes les autres nations industrialisées.

C’est récemment, et à travers le désastre de l’immobilier et des emprunts pourris, que la permanence de l’inégalité entre groupes socio-économiques a été la plus criante. Mais au fond ce qui consacre la violence du message est que la société civile est sur le point d’imploser alors que le gouvernement répond en affirmant que sa richesse constitue une excuse à l’oppression économique. Le petit finit par payer pour le riche, façon de dire que ce n’est pas le travail qui fait la réussite. Rappelons que le plan de sauvetage du système financier de plus de sept-cents milliards de dollars se fera aux frais du contribuable. Obama et McCain ont tous deux avalisé ce plan, en jouant de nuances soit, mais en signifiant surtout que le prochain président jouira d’une marge de manoeuvre limitée.

Pendant ce temps la campagne électorale serait tout juste captivante s’il n’y avait pas comme colistière républicaine, Sarah Palin. Pour ceux qui pensaient qu’avec George W. Bush on avait touché le fond de l’inéptie politique, du délitement de toute attente un tantinet intellectuelle, qu’ils se rassurent il y a de toute évidence encore de la marge. Ce n’est pas tant que les discours de la candidate républicaine fonctionnent sur une logique irrationnelle, qui postule par exemple que la crise financière serait le résultat d’un excès d’interventionisme, ou qui construit sa vision de la politique étrangère à partir de citations qu’elle a lues sur des tasses à café de chez Starbucks, ce serait plutôt une manière d’entériner l’angoisse de la base électorale de droite. On peut dire à ce titre que Palin est l’élaboration de la fuite en avant du parti républicain. La grande vague partie de Nixon, réactualisée sous Reagan, se dissout inéxorablement. Alors on regroupe ses dernières forces (isolationistes, conservateurs fiscaux, intégristes protestants, cols bleus largués par les délocalisations, fédéralistes en souffrance de la Constitution, détracteurs professionnels des Nations Unis, racistes de tout poil mais bien propres sur eux, etc.) dans un gros bouillon populiste et démagogique qui souligne à quel point la droite américaine est en train de se percevoir en classe dominée si ce n’est menacée.

L’arrivée probable d’Obama à la Maison Blanche, tant est qu’il continue de laisser McCain accumuler les erreurs stratégiques et autres gaffes de communication, coïncidera avec une stabilisation relative, mais également un redémarrage américain dans le XXIème siècle. On le sait les enjeux sont de trois ordres. D’abord, non pas tant vaincre le terrorisme que les raisons du terrorisme. Ensuite, redistribuer les cartes du système financier entre institutions et États, afin d’éviter le même processus tendanciel de décomposition que nous vivons. En gros, il ne faut plus que le déficit économique devienne un déficit de pouvoir, disons-le de responsabilité. L’argent, lui, n’a pas disparu, comme le furet il repassera par là. Enfin, l’enjeu capital entre tous est bel et bien celui du sauvetage de la planète. Obama propose, à la manière de Kennedy pour la conquête de l’espace, que d’ici à dix ans le pays soit sevré de son ivresse en hydrocarbures. Voeu pieux ou cause incontournable, il est néanmoins le seul candidat qui semble avoir conscience que nous nous trouvons dos au mur.

On l’a compris, après les huit années de l’administration Bush, l’envahissement du pouvoir revient à l’expression du pouvoir d’un vide. Ainsi ceux qui ont cru voir le tiers monde se manifester dans la réponse lamentable de l’État après l’ouragan Katrina ont-ils peut-être perçu que le paradoxe de la modernité américaine révèle que le sous-développement demeure toujours une possibilité dès lors que pour des raisons idéologiques le fossé entre économie et société n’est plus transitoire mais structurel. Contre ce mal, Obama apparaît tantôt comme une bonne surprise tantôt comme un guérisseur. Pas étonnant qu’au coeur de son discours un rejet de toute forme de polarisation et la déclaration d’un fort sentiment de la responsabilité pour la chose publique se font toujours écho. A l’extrêmisme néoconservateur il oppose le centre absolu, cet espace politique particulier qui, tout à la fois, se dérobe et fait du bien à la démocratie, enfin.

Publicité
Publicité
Publicité

Laisser un commentaire

Chargement…

0

Philippe Geluck : « Nous sommes tous frères »

Les Etats-Unis et la campagne électorale de 2008