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Carla, Nico : le beau conte de Noël

On débarque très tôt à Roissy, épuisé, les narines traumatisées après plusieurs heures de vol nocturne dans une bétaillère. Et quand, transi de froid, on s’engouffre dans une voiture on se dit que l’on va pouvoir se changer les idées en écoutant les informations matinales, histoire de savoir comment va le vieux monde.

Que nous disent alors les flashes ? Nous parlent-ils de l’échec de la conférence de Bali ? Un peu. Reviennent-ils sur le débat des candidats à l’investiture démocrate pour les élections américaines de novembre 2008 ? Certainement pas. Analysent-ils la lente mais très sûre dégradation du climat social en France ? Ne rêvons pas. Reviennent-ils sur la pagaille provoquée par le gouvernement à propos du remboursement des RTT ? A peine.

Alors, quoi ? Et bien, ce matin-là, il n’est question que des deux nouveaux personnages de Mickey. Quoi de plus normal. Comme chaque année, en cette période de fête, il est en effet souvent question du parc Eurodisney, des ses offres promotionnelles, de son « Noël qui se prolonge jusqu’au 6 janvier » cela sans oublier les incontournables films de saison du style la princesse « machin-chose » ou le prince « gentil contre les méchants » qui font le plaisir des enfants et le stress des parents…

Mais cette fois-ci, la donne est nouvelle. Les personnages en question sont humains et l’on risque de parler longtemps d’eux. Il s’agit, vous l’avez compris, du bon président Nicolas Sarkozy et de la grande Carla Bruni dont radios, télés et journaux, nous annoncent l’idylle naissante. Fichtre ! Voilà une info qui tourne en boucle et qui bouleverse nos vies.

Du coup, à l’annonce de ce scoop, toutes les masses hexagonales se sont mises à compter les jours, attendant le jeudi suivant pour prendre connaissance des images du couple dans le magazine connu pour le poids de ses mots et le choc de ses photos. Oubliée la polémique à propos de la visite carnavalesque de Kadhafi.

La diversion était peut-être cousue de fil blanc mais elle a marché et le peuple ne demande qu’à croire ce conte enchanteur. D’ailleurs, Radio Paris annonce déjà le mariage de la belle et du président. Voilà qui va nous occuper pendant quelques semaines, que dis-je, pendant quelques mois. Il n’est pas nécessaire d’être pythie pour deviner ce qui va nous tomber dessus.

D’abord, il va y avoir les témoignages, réels, inventés ou rêvés, de la rencontre et du coup de foudre. Ensuite, ce sera le tour de la préparation du mariage. Viendra le jour de la noce. Fastueuse car on imagine mal le président « bling-bling » se contenter d’un repas entre copains. Ce ne sera certainement pas la même chose que l’alouette et le pinson qui voulurent se marier mais qui, le jour de leur noce, n’avaient pas de quoi manger.

Dans l’hebdomadaire évoqué un peu plus haut, nous aurons droit à soixante pages de photographies, gros plans sur les riches convives, plein cadre sur les fortunés témoins, écrits dithyrambiques sur la joie de toutes et tous. De quoi permettre à monsieur Durand, smicard, chômeur ou membre d’une classe moyenne en perte de pouvoir d’achat, de s’évader par procuration et d’oublier son gris quotidien. Et le pire dans tout cela, c’est qu’il n’y a aucune raison pour que cela cesse.

Après le mariage, au tour du voyage de noces. Destination paradisiaque garantie, yacht, grand hôtel, dorures, suites nuptiales à plusieurs dizaines de milliers d’euros la nuit… Puis les gazettes et leurs lecteurs rongeront leur frein en attendant l’annonce de l’arrivée prochaine d’un héritier ou d’une héritière avec les photos de la grossesse, nécessairement épanouie de la première dame de France. Enfin, seront publiées les images des premiers pas du petit frère ou de la petite soeur de l’ex-« petit » Louis, vous savez, le fils de Cécilia et de Nicolas.

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En somme, il y a de quoi occuper le peuple de France jusqu’en 2012. Et même au-delà car tous les scénarios sont possibles, à l’identique de ce qui existe dans « Amour, Gloire et beauté », célèbre feuilleton qui a tant fait pour la culture mondiale et pour l’occupation des insomniaques. Il n’est nul besoin d’une grosse imagination pour anticiper les épisodes qui pourraient nous être offerts. « Carla, sur le départ ? » puis « Carla, s’en va », puis encore « Carla (comme Mathilde) est revenue ».

Mais il pourrait y avoir mieux. « Carla s’en va, Cécilia revient » (hé, hé, hé, avouez que vous n’y aviez pas pensé !). Mais j’ai encore mieux à vous proposer même si, je le concède, le scénario est quelque peu osé : « Carla reste et Cécilia revient ».

Impossible ? Et pourquoi pas ? Dans le 892ième épisode, Nicolas se convertira à l’islam et décrètera licite la polygamie dans le royaume de France et de Navarre ! Et nous, spectateurs hypnotisés, nous resterons suspendus à nos revues, qu’elles soient « pipoles » ou pas, attendant le rebondissement, le nouveau coup de théâtre qui enchantera ou attristera nos existences.

Bon, soyons sérieux un peu. Il y a quelque chose de sidérant dans cet embrasement médiatique à propos de la liaison, supposée ou réelle, du président Sarkozy avec l’ancienne compagne de Raphaël, le chanteur et porte-voix de la France dépressive. Cela signifie que le fond des choses ne pèse guère et que l’on peut facilement détourner l’attention de l’opinion publique avec ce genre de mise en scène car qui peut croire que les photographes étaient présents par hasard à Eurodisney surtout par un week-end sibérien !

Bien entendu, tout le monde est complice à commencer par la presse qui pourrait ne pas jouer le jeu et mieux faire « son si joli métier ». Mais comment lui en vouloir puisque la demande est là. Tout le monde ou presque raffole de ce genre de commérages et, avec Nicolas Sarkozy, il y a de l’avenir pour la filière. Il y a quelques années, un journaliste italien, de gauche, avait prononcé cette phrase lourde de sens : « ce n’est pas tant Berlusconi que je crains, que le Berlusconi qui est en chacun de nous ».

Des mots qui s’appliquent à merveille au cas français. Mais parlons-en plus tard, voulez-vous ? Oui, désolé, mais je dois filer car j’ai peur de manquer le dernier numéro de Paris-Match.

Le Quotidien d’Oran, jeudi 27 décembre 2007

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