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Bruno Etienne, le savant « provoquant »

Il en a laissé, des ouvrages de qualité ! Mais Bruno Etienne reste un nom relativement méconnu parmi le grand public maghrébin et français. Il a pourtant joué un rôle essentiel, ces vingt dernières années en France, pour une meilleure connaissance du monde de l’islam et, plus globalement, pour une plus juste approche du « monde » des religions.

Il est mort à l’âge de 71 ans, dans la ville d’Aix-en-Provence où il a développé pendant plusieurs années ses recherches et son enseignement. Diplômé de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence et agrégé de sciences politiques, il a été chercheur au Caire, puis enseignant aux universités d’Alger, de Casablanca et de Bir Zeit, avant de fonder, à Aix-en-Provence, l’Observatoire du religieux, qu’il a dirigé jusqu’en 2006.

Le seul énoncé de ces fonctions et de ces activités diverses témoigne d’une vie particulièrement riche. Et son parcours intellectuel rappelle combien elle a été liée à l’islam et au monde arabe. En attestent aussi nombre de ses livres (L’islamisme radical, Paris, LGF, 1989 ; La France et l’islam, Paris, Hachette, 1989 ; Abdelkader, Hachette, 1994 ; L’Islam en France, Paris, CNRS Editions, 2000 ; Islam, les questions qui fâchent, Paris, Bayard, 2003 ; Abd el-Kader : Le Magnanime (avec François Pouillon), Paris, Gallimard, 2003). Mais cela ne suffit pas à donner la mesure du personnage bouillonnant qui vient de s’éteindre.

Ce n’était pas un politologue et un sociologue détaché, à distance de ses objets d’étude. A contraire, il était passionnellement investi dans ce qu’il faisait : « J’ai toujours été à la fois un chercheur et un cherchant », aimait-il à souligner. Dès l’adolescence, ce fils d’une famille en partie protestante en partie franc-maçonne avait était touché par le « virus » des religions ; il s’est plongé avec bonheur dans les livres sacrés, Bible, Coran et Talmud et aussi dans les traditions de l’Asie. Toute sa vie, il a été fasciné par les mécanismes de la croyance, se montrant capable d’entrer en profonde empathie avec les mouvements religieux qu’il étudiait. C’est peu dire que cela surprenait, voire dérangeait ses interlocuteurs laïques (« à la française »), qu’il interpella parfois rudement. Il faut dire que dans les tables-rondes où il intervenait, il faisait le spectacle (et savait qu’il le faisait) ! Du coup, il arrivait qu’on le trouve un peu brouillon dans ses interventions – mais c’était la rançon de sa générosité.

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On l’a dit converti à l’islam, puis devenu bouddhiste, puis marqué par un agnosticisme total… Mais Bruno Etienne était un peu tout cela à la fois, bien que cela paraisse impossible aux gardiens des doctrines religieuses et aux milieux universitaires classiques ! Une des grandes convictions du politologue aixois, en effet, aura été que, dans le monde de mélanges qui est devenu le nôtre, les divers systèmes de croyance s’influencent, s’interpénètrent, et que certains peuvent être « à la fois » (ou « alternativement » ?) bouddhiste et chrétien, musulman et franc-maçon…

Lui-même a été un franc-maçon à sa façon, c’est-à-dire subversif : il n’a pas hésité dans un de ses derniers livres à mettre en relief ce qui lui apparaissait complètement suranné dans la franc-maçonnerie contemporaine. Au cours de ses recherches, il se passionna aussi tout particulièrement pour l’émir Abd el-Kader, le fondateur de la nation algérienne moderne, dont on sait qu’il fut avant tout un grand mystique soufi, disciple de l’Andalou Ibn Arabi. Or Abd el-Kader fut en relation avec la franc-maçonnerie française, ce qui trouble beaucoup de musulmans. En fut-il réellement membre ? Même si Bruno Etienne assurait que « oui », le débat reste ouvert. C’est cette « ouverture », et non pas des certitudes sur l’islam, qu’il nous laisse en héritage.

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