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America, America… Du clash des civilisations au choc des ignorances

Lors de son discours du Caire1 l’année dernière Barack Obama prônait la réconciliation avec le monde musulman : « …les Etats-Unis et le monde occidental doivent apprendre à mieux connaître l’islam. D’ailleurs, si l’on compte le nombre d’Américains musulmans, on voit que les Etats-Unis sont l’un des plus grands pays musulmans de la planète (…) Ce que j’essaye de faire, c’est de créer un meilleur dialogue pour que le monde musulman puisse mieux comprendre comment les Etats-Unis, mais plus généralement le monde occidental, conçoivent certains problèmes difficiles, tels que le terrorisme ou la démocratie ». Ces propos emprunts de conciliation avaient été acclamés par les nombreux chefs d’état du monde arabo-islamique.

Aujourd’hui, plus que jamais, la question de relations « normalisées » et « pacifiées » avec l’islam revient avec vigueur sur la scène locale américaine. « Islam, islamic, Muslims… » sont devenus autant des termes souvent à connotation négative au pays de l’Oncle Sam à en croire les péripéties du Centre culturel islamique à New York.

On se souvient que le projet controversé d’une mosquée à deux pâtés de maison de Ground Zero, où se trouvaient les tours jumelles détruites le 11 septembre 2001, a franchi un obstacle important début août avec le feu vert donné par la municipalité et le soutien du maire de New York. Cette décision très controversée était aussitôt assimilée à « une insulte à la mémoire des victimes » par les opposants au projet. Cette levée de boucliers s’est transformée en véritable campagne de dénigrement aux allures islamophobes : autobus arborant sur leurs flancs des slogans hostiles à l’édification d’une mosquée et d’un centre culturel islamique près de Ground Zero, photographies d’avions s’écrasant contre le World Trade Center rappelant les attentats du 11 septembre….

De gigantesques pancartes affichant « Pourquoi ici ? (« Why here ? ») insistant sur le « caractère provocateur » d’une demande légitime pourtant garantie par le Premier amendement de la constitution des Etats-Unis.2

Quand on sait que l’annonceur n’est autre que l’organisation SIOA (« Stop Islamization of America », « Arrêtez l’islamisation de l’Amérique »), on peut imaginer que la Statue de la Liberté a dû être saisie d’effroi dans ce grand pays où nous répète t-on souvent les droits fondamentaux de tous les citoyens américains, sans distinction, sont imprescriptibles. L’intervention du Président américain et son positionnement aux côtés de Michael Bloomberg n’a pas pour autant calmé les ardeurs des pourfendeurs de ce projet. Face aux attaques soutenues, le chef de l’exécutif a même dû apporter quelques précisions afin de rassurer notamment une frange de cette Amérique ultraconservatrice qui le suspecte de dissimuler sa confession !3

Les détracteurs de ce projet, menés par les associations de familles des victimes du 11 Septembre, et par Sarah Palin -l’ex-candidate républicaine à la vice-présidence- , ont réagit avec virulence afin d’interpeller l’opinion américaine et dénoncer le soutien de la Maison Blanche. Le représentant de New York à la Chambre basse du Congrès déclarait récemment sur CNN avec un brin d’arrogance :

« La communauté musulmane fait preuve d’insensibilité et de manque de compassion en voulant construire une mosquée dans l’ombre de Ground Zero. Malheureusement, le président a cédé au politiquement correct, a-t-il regretté. Alors que la communauté musulmane a le droit de construire la mosquée, ils abusent de ce droit en offensant inutilement tant de gens qui ont tellement souffert. Le bon choix, moral, le président Obama aurait dû faire eut été d’exhorter les dirigeants musulmans à respecter les familles des défunts et de déplacer leur mosquée loin de Ground Zero ».

Les partisans du projet soutiennent que la « Maison Cordoba » aidera à surmonter les stéréotypes négatifs dont continue à souffrir la communauté musulmane de la ville depuis les attentats. Mais rien n’y fait et le traitement médiatique tend à donner l’impression qu’au final la communauté musulmane américaine constitue une entité bien particulière, avec des revendications à la limite de la décence.

Au-delà des dérives sémantiques, malheureusement récurrentes depuis « Nine eleven », cet épisode nous renvoie à une période sombre de l’histoire récente des Etats-Unis : la chasse aux sorcières sous une idéologie institutionnalisée : le maccarthisme.4 Récemment une personnalité politique lançait :

“Les USA ont appliqué, avec succès, vis a vis des communistes une politique fondée sur” l’endiguement” (Foster Dulles). Ils devraient reprendre cette philosophie dans leur conflit contre l’islamisme plutôt que de s’abandonner à la suite de complaisances…”5

Incontestablement, le vent de l’intolérance souffle à nouveau outre-atlantique et les quelques 7 millions de citoyens américains6 sont érigés en bouc-émissaires, voire responsables d’une « douleur collective », qui prendra du temps avant d’être exorcisée. Depuis la tragédie du 11 septembre, les citoyens américains de confession musulmane s’étaient malheureusement accoutumés à un dispositif sécuritaire impressionnant et à ses dérives liberticides. 7

« Malheureusement, dans cet Etat comme dans tout le pays, l’islamophobie est en augmentation », reconnait Ramsey Kilic, porte-parole du Centre pour les relations islamo- américaines (CAIR).8

A cet égard, l’heure ne semble pas non plus à la conjuration des démons de la haine avec l’organisation d’une « journée internationale pour brûler le Coran » à la date anniversaire des attentats du 11 septembre 2001. A l’origine de cette initiative, un certain Terry Jones, pasteur de son état, invite à réduire en cendres sur la place publique le livre sacré d’un quart de l’humanité, fondement même de la croyance islamique. En fait il s’agit ni plus ni moins que de combattre « le démon de l’islam », considéré par cet homme d’église comme le mal incarné. Venant de l’auteur de « Islam is of the devil »9, culture de la haine, stigmatisation et anathèmes sont en totale cohérence avec cette personnalité de « mauvaise foi » dans tous les sens du terme. A la question du présentateur de CNN « Pourquoi voulez-vous faire cela à 1,5 milliard de personnes au monde ? » il donnera une réponse sans équivoque :

« L’islam et la charia sont responsables du 11-Septembre. Nous allons brûler des Corans car nous pensons qu’il est temps pour les chrétiens, pour les églises, pour les responsables politiques de se lever et de dire : « Non, l’islam et la charia ne sont pas les bienvenus aux Etats-Unis ».

Et nous voilà ainsi transportés au coeur de certaines pratiques moyenâgeuses ou autres autodafés organisés sous le Troisième Reich !

Précisons au passage que cette âme égarée et aveuglée par l’inimitié n’est autre que le leader de L’église Dove World Outreach Center (atteindre un monde de paix !) : on voit que le ridicule ne tue plus à notre époque. Les thèses huntingtoniennes et autres slogans qu’on pensait relégués à l’oubli (« l’axe du Bien contre l’axe du Mal ») sont ainsi réactivés pour « justifier » une combat « juste » destiné à sauver les valeurs de l’Amérique. « Clash des civilisations » et autre « fin de l’histoire » sont convoqués pour faire écho à d’autres constructions théologiques en l’occurrence empruntées à l’islam (« dar al islam, dar al kufr …) 10 Ainsi selon une règle immuable, les extrêmes se nourrissent les uns les autres.

En d’autres termes, cette vision cosmique manichéenne trouve sa consécration dans le choc des ignorances !

Le pasteur Jones évoque dans un « argumentaire » 10 raisons pour « justifier » sa croisade contre l’islam.11 Dans un inventaire à la Prévert, l’internaute y trouvera propos insultants, contre-vérités et autres délires paranoïaques (« La vie et le message de Muhammed ne peuvent pas être respectés », « Muhammed n’a peut-être jamais existé », « La loi islamique est de nature totalitaire (…) elle a de nombreuses similitudes avec le nazisme, le communisme et le fascisme », « Le monde souffre de l’emprise démoniaque du Coran », « L’islam constitue une arme de l’impérialisme arabe et suscite le colonialisme » …). De là à comparer l’islam à la « Bête » mentionnée par le Prophète Daniel, il n’y qu’un pas…allègrement franchi par certaines ouailles privilégiant une herméneutique singulière.12. La tradition musulmane relate que l’ignorance est le plus grand ennemi de l’homme quand le Coran déclare :

« Dis : “Sont-ils égaux, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ?” Seuls les doués d’intelligence se rappellent » 13

On peut raisonnablement penser que l’intéressé n’est pas doté de cette dernière faculté.

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Consciente de ces dérives, aux antipodes de la foi chrétienne, l’Association Nationale des Evangéliques (US) s’est désolidarisé en exigeant l’annulation de l’autodafé et en citant la Première Lettre de Saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens. La Conférence Mondiale des Religions pour la Paix (Religions for Peace, basée à New York) a aussi condamné cette initiative dangereuse pour la cohésion et le vivre-ensemble.

La plus grande vigilance et un devoir d’indignation s’imposent face aux pyromanes en tout genre, apôtres de la division et de la haine et autres épigones.

Patrimoine universel, l’humanité se construit dans la persévérance, la raison et la foi, dans la parole partagée et l’effort d’une réflexion sans cesse renouvelée. Vivre en harmonie avec l’autre, avec ses différences, s’ouvrir à l’autre dans la fraternité 14 et la solidarité, oeuvrer pour une meilleure connaissance mutuelle en répondant à l’invitation divine….. :

« Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entreconnaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus pieux. Allah est certes Omniscient et Grand-Connaisseur » (Coran :S.49 ;V.13).


1- 19 juin 2009

2- Le Premier Amendement à la Constitution des Etats-Unis d’Amérique fait partie des dix amendements ratifiés en 1791 et connus collectivement comme la Déclaration des Droits (Bill of Rights). Il interdit au Congrès des États-Unis d’adopter des lois limitant la liberté de religion et d’expression, la liberté de la presse ou le droit à se réunir pacifiquement.

3- Un sondage réalisé par le Pew Research Center pour le Washington Post le 19/08/2010 révèle que 20% des Américains pensent que leur président est musulman. Parallèlement, le nombre d’Américains qui identifient correctement Barack Obama comme chrétien a chuté de près de moitié en un an, à 34%. La Maison Blanche a dû apporter un démenti ! On retrouve dans certains médias américains et français « Obama bin Laden » caricaturé avec barbe et turban.

4- Le maccarthisme (ou maccarthysme) est un épisode peu élogieux de l’histoire du pays connu également sous le nom de « Peur Rouge » (Red Scare) ou de « chasse aux sorcières » (witch hunts). Il s’étend de 1950, l’apparition du Sénateur Joseph McCarthy sur le devant de la scène politique américaine, à 1954, le vote de censure contre McCarthy. Pendant deux ans (1953-1954), la commission présidée par McCarthy traqua d’éventuels agents, militants ou sympathisants communistes ; tout cela avec son lot de dérives liberticides.

5- Le gouverneur du Tennessee remet même en question l’appellation de religion pour l’islam qu’il considère comme une secte ou un parti politique ! Lire à ce sujet “ Ron Ramsey : Tennessee Republican politician under fire in ’Islam is a cult’ row” in The Daily Telegraph du 27 /07/2010

6- Selon le Council on American-Islamic Relations (CAIR)

7- Voir l’étude de Daniel Sabbagh, Sécurité et libertés aux États- Unis dans l’après-11 septembre : un état des lieux in Critique internationale n°19 – avril 2003, Centre d’Etudes et de Recherches Internationales

8- Council on American-Islamic Relations

9- Dans son introduction on peut y lire : « L’Islam est satanique. Apprenez les vérités spirituelles qui ramèneront l’église chrétienne à la position révélée par Dieu ».

10- Le monde complexe globalisé dans lequel nous évoluons ne saurait être réduit à ces deux camps ennemis : « la demeure de l’islam » versus « la demeure de la mécréance ». Voir ma contribution, Islam : cet OVNI (Objet Voilant Non Identifié) : Pour un Grenelle de l’islam de France, in saphinews.com, 29 avril 2010

11- Voir son site http://www.doveworld.org/blog/ten-reasons-to-burn-a-koran

12- Le lecteur motivé par l’exégèse peut se référer à Daniel 7.19-27

13- S.39 ; V.9

14- Voir ma contribution « Si Dieu l’avait voulu …. » Vivre en harmonie avec l’autre, avec ses différences… », Groupe de Recherches Islamo-Chrétien, Institut Catholique de Paris, 19 mai 2010

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