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Indignations sélectives

Côté image, il faut dire que nous, musulmans de France, ne sommes pas gâtés. La mobilisation contre les crimes perpétrés par le groupuscule Daesh ( qui n’a cessé de gagner de l'ampleur, on ne sait comment) en est une preuve de plus.

Malgré nous, nous sommes sommés de répondre de ce que font des coreligionnaires, ou ceux qui prétendent l’être. Mais cette sommation n’est jamais gratuite. Lorsqu’il s’agit de musulmans persécutés, massacrés comme en Palestine, le conseil avisé est de ne pas importer le conflit, mais lorsqu’il s’agit d’une infâme persécution des chrétiens, notre intégration dans le concert des indignés est la bienvenue. Hypocrisie ? Comment pourrait-on qualifier autrement ce double standard ?

Que l’on se comprenne bien. L’assassinat du guide de montagne Hervé Gourdel ne mérite, du plus profond de notre humanité et de notre spiritualité, que la condamnation sans réserve et le rejet sans équivoque, et c’est tout à fait salutaire que des musulmans, affranchis de toute tutelle, qui ne courent ni après les décorations, ni les plateaux télé,  et encore moins les dîners VIP, le fassent. C’est une question d’honneur et de devoir de témoignage.

Cependant, on ne peut nier que ce qui fait le plus mal et doit nous interpeller, c’est de réaliser que certains de nos concitoyens sont surpris, certes agréablement, mais surpris quand même par cet élan d’indignation ! Comme si cela n’allait pas de soi, comme si nous étions cette éternelle cinquième colonne verte éminemment suspecte, et dont la loyauté, religion oblige, est toujours sujette à caution !

Mais il faut reconnaître qu’il ne peut en être autrement ; nous n’agissons pas à « armes » argumentatives égales, ni avec un Eric Zemmour, à l’audimat rentable pour I-télé et RTL, qui a carte blanche pour déblatérer comme bon lui semble, bien que nous ayons le droit « de ne pas être d’accord avec lui», comme le stipule le titre de sa chronique radiophonique, ni  avec les politiques qui oublient que les musulmans de France ne sont plus soumis au code de l’indigénat… A cet égard, un Bruno Le Maire outrepasse ses compétences quand il leur propose comment recruter les imams, et il n’est certainement pas du ressort d’Audrey Pulvar  de les aider à interpréter le Coran, surtout en assénant que le foulard qu’arborent les musulmanes n’a aucun fondement, qu’il est dégradant…. bref, la rengaine maintes fois ressassée !. Il est facile de fustiger la "soumission des femmes voilées", quand les plus instruites d'entre elles sont systématiquement bannies des grands médias, il est aisé de déplorer le déficit de "laïcité", lorsque seul son versant coercitif et stigmatisant reste le plus médiatisé.

Cette mobilisation, mais surtout les réactions qu’elle a suscitées, a trahi un paternalisme insultant. Je pense à ces chroniqueurs et politiques qui distribuent les bons points de l’indignation sélective à ceux-là mêmes, parmi les représentants musulmans, qu’ils ont contribué à introniser…

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Cette mobilisation a aussi colporté des propos mensongers sur l’universalité des valeurs, interrogeant la faculté de certains musulmans à accéder à la lumière dont bénéficie toute l’humanité. Comme si nous ne sortions pas d’une guerre des plus meurtrières en Irak, comme si les souvenirs cauchemardesques d’Abou Ghreib, les exécutions sommaires, les geôles de l’enfer carcéral de Guantanamo, le phosphore blanc utilisé par Israël, les drones d’Obama, le pilonnage de civils à Gaza, et s’il l’on remonte encore plus loin dans le temps, les têtes d’Arabes coupées et érigées en trophée par les soldats de la colonisation en Algérie, étaient déjà gommés de nos mémoires… Comme si la barbarie des égorgeurs de Daesh était une hérésie.

Cela étant dit, force est de constater qu'un travail en profondeur, bien qu’entamé, reste à entreprendre à l’intérieur même de la sphère musulmane. Réconcilier la jeunesse avec sa religion et ses valeurs, loin des manipulations cybernétiques, au sein des mosquées et par l’intermédiaire d’hommes et de femmes de savoir et de proximité, constitue l’un des objectifs prioritaires auquel nous devons nous atteler sans tarder.

Ce travail nous incombe à tous, car nous vivons une époque de solitude derrière les écrans de la communication virtuelle, qui informent certes, mais déforment aussi les esprits. Beaucoup de gadgets, une abondance de moyens, et au final très peu de lien intelligent… 

Mais nous n’aurions certainement pas à nous poser tant de questions, après ces manifestations au demeurant fort louables, si  l’hypocrisie ne polluait pas à ce point l’air ambiant.

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