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Le Salafisme aujourd’hui : entre réformisme islamique et mouvement de rupture

Le salafisme correspond à une lecture de l’islam donnant la primauté aux sources coraniques et de la Sunna : un retour à la tradition des textes religieux en quelques sortes. Pourtant la référence au courant actuel dans les milieux intellectuels et médiatiques ne date que de la fin du XXe siècle.

En effet, le terme de salaf a souvent renvoyé d’abord à « la Salafiyya » pour désigner la période du réformisme musulman qui vit le jour essentiellement en Égypte, à la fin du XIXe siècle. Les intellectuels islamistes de cette époque souhaitaient un retour aux sources en réaction aux transformations séculières d’un empire Ottoman finissant. Le mouvement de la Salafiyya est aussi apparu dans un double contexte de contestation de l’impérialisme occidental et des despotismes régionaux du monde musulman.

Aujourd’hui le salafisme désigne d’abord une doctrine religieuse qui s’inspire exclusivement des textes juridiques des pieux ancêtres (salaf sâlih) : les oulémas des premiers siècles de l’Islam et les compagnons du Prophète Muhammad saw (sahâba) de la période idéale correspondant à la première communauté de Médine et des quatre premiers califes dits « Bien Guidés », de 622 à 661.

Le salafisme s’apparente donc à une lecture de la foi islamique, du dogme appelé « ‘aqîda », en s’appuyant sur les fondements que sont le Coran et la Sunna. Par conséquent, il s’agit d’une lecture fondamentaliste, voire littéraliste des textes de l’Islam, rejetant tout effort d’interprétation fondé sur la raison humaine, perçu comme une altération du message religieux qui doit exclusivement se référer, selon la tradition salafiste à la raison divine.

Ainsi, la position juridique du salafisme actuel se base sur le raisonnement par analogie (qiyâs) et le consensus (ijmâ’) des salaf, récusant les autres formes de jurisprudences présentes dans les écoles juridiques traditionnelles de l’islam sunnite.

Cependant le salafisme est bien plus qu’une simple lecture religieuse. Il est aussi un courant, une méthode (minhâj) qui prend toute sa dimension politique avec la prédication d’un ouléma du milieu du XVIIIe siècle, Mohammad Ibn Abdel Wahhab, la référence idéologique en terme de prédication religieuse de l’Arabie Saoudite depuis la création du premier émirat saoudien dans le centre de la Péninsule arabique.

La diffusion de cette doctrine religieuse prendra alors une dimension quasi-stratégique avec le pacte scellé entre Abdel Wahhab et la famille al-Saoud en 1744 pour dresser les bases du futur Etat saoudien. La prédication salafiste dont se réclamait Abdel Wahhab va très vite se trouver en rupture avec les traditions tribales de la société du centre de la péninsule arabe de l’époque.

Cette doctrine s’inscrit dans une forme de réformisme de la pensée islamique aussi bien sur les plans religieux, social que politique. Dès lors, le salafisme devient une idéologie politico religieuse dont la pensée sera largement diffusée successivement par plusieurs générations des principaux prédicateurs de l’Etat saoudien moderne.

Sur le plan théologique, les salafistes sont en rupture avec ce qu’ils appellent le suivisme aveugle des écoles juridiques de l’islam sunnite qui façonne les champs religieux du monde musulman depuis le VIIIe siècle. Leur lecture des textes est critique et réformiste. Ils mettent en avant le principe du monothéisme (Tawhîd) de l’Islam qu’ils opposent à toutes les formes d’associationnisme (Shirk) entre Dieu et toute autre nature d’essence non divine.

Les salafistes sont également persuadés d’appartenir à une communauté avant-gardiste avec pour objectif de restaurer une foi islamique authentique, ils s’inscrivent dans un processus de renaissance de la foi face au monde musulman actuel perçu comme décadent.

Sur le plan socio-religieux, les partisans du salafisme adoptent une posture radicale, qui marque une rupture avec les espaces de socialisation traditionnelle et amène les salafistes à rechercher un islam plus conforme à leur interprétation de la « tradition véritable », comme une réponse aux pratiques populaires ou culturelles, jugées trop éloignées des fondements islamiques et vécues comme une perte de l’identité islamique.

Ainsi, on peut dire que le salafisme par essence est même le produit d’un islam traditionnel réformiste, dans le sens où il prône un retour à la tradition première, celle du Coran et de la sunna du Prophète (saw), en rupture avec d’autres écoles traditionnelles ou courants populaires ; ceux-ci perçus comme un héritage des pratiques culturelles des différentes composantes du monde musulman.

La mise en place d’un ordre moral et d’une éducation islamique sur la société font partie des bases de l’enseignement et de la prédication. De même, le salafisme est également en opposition avec certaines formes de pensées modernes occidentales considérées comme responsable du processus d’altération de la foi musulmane, comme la démocratie ou la laïcité. Il s’évertue à mettre en opposition la raison divine contre toute forme de rationalisme de la pensée humaine.

Il s’appuie également sur le principe d’adhésion aux valeurs exclusivement islamiques et rejette toute forme de notion ou entité impie ; principe énoncé sur le plan dogmatique comme étant l’application d’al-Walaa wal-Baraa. Aujourd’hui, on remarque par exemple que la plupart des partisans de courant salafiste présents en occident se manifestent à travers des mouvements piétistes et revivalistes dont l’objectif est de restaurer une foi unique aux croyants dans un processus de rupture avec les valeurs de la société occidentale.

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A côté de cette école salafiste de pensée dite traditionnelle, vient se greffer un autre courant qui se développe au cours des années 80. Il s’agit de la tendance djihadiste, qui prône le combat armé, selon les préceptes coraniques, afin de libérer la communauté non seulement des différentes occupations étrangères, mais aussi de ses propres régimes politiques, qualifiés d’oppresseurs.

Cette position surpasse donc un principe cher aux salafistes traditionnels qui réside dans l’obéissance à l’autorité politique, le Wali al-Amr, qui, pour les djihadistes peut très bien être contestée si cette autorité ne répond pas aux exigences du dogme et de la sharia islamique.

Le courant djihadiste d’obédience salafiste s’est inspiré de deux expériences contestatrices du régime saoudien : celle des Ikwans de 1929 et celle du groupe de Juhayman al-Utaybi en 1979 lors de la prise de la mosquée al-Haram de La Mecque. Ensuite, avec l’intervention soviétique en Afghanistan, les salafistes présents en Arabie saoudite se sont lancés dans un appel au combat contre cette occupation.

Ils reçoivent alors le soutien d’autres prédicateurs du monde arabe qui seront avec Oussama ben Laden, les fondateurs d’une mouvance djihadiste internationale qui prendra vers la fin des années 80 le nom d’al-Qaïda. Ces idéologues vont adopter à la fois comme dogme religieux et comme méthode politique le salafisme, en y greffant comme moyen de lutte le djihad, qui reste dans leur esprit une méthode de rupture de type révolutionnaire.

Cette mouvance actuelle présente des différences avec le salafisme originel des oulémas saoudiens. Certes, le djihad a pour cible tout élément étranger qui occupe un territoire musulman, mais il vise également l’ensemble des régimes arabes considérés comme politiquement illégitimes, ce que les salafistes de la monarchie saoudienne s’étaient refusé à prêcher toujours liés par le pacte entre Abdel Wahhab et la famille al-Saoud et fidèles au principe du Wali al-Amr.

Une troisième mouvance issue du salafisme apparaît enfin dans les années 90 toujours en Arabie Saoudite. Il s’agit du courant réformiste dit de la « Sahwa Islamiyya », littéralement réveil islamique, lancé par de jeunes prédicateurs saoudiens et intellectuels de la société civile, nouveaux diplômés des universités, qui vont appeler ouvertement la monarchie saoudienne à se réformer politiquement.

Leurs demandes tournent principalement autour d’une ouverture plus grande des institutions politiques au champ religieux et d’une redéfinition des alliances avec l’occident. Ce courant s’est aussi beaucoup inspiré des positions des Frères musulmans en prônant une contestation par le débat politique et religieux.

Les oulémas saoudiens comme Safar al-Hawali, Salman al-Awda et Nasser al-Omar en sont les figures emblématiques. Leur rôle actuel dépasse les frontières de la péninsule arabe grâce à une stratégie de communication globalisée qu’Internet leur fournit.

Aujourd’hui, ces trois lignes du salafisme présentent des stratégies différentes de diffusion de leur discours. Le courant traditionnel cherche avant tout à propager la foi salafiste à travers le monde, via des institutions islamiques internationales en partie financées par les monarchies du Golfe.

Les partisans des mouvances réformiste et djihadiste ne sont pas liés à un Etat et n’ont donc pas de territoires ou de sanctuaires privilégiés, d’autant plus qu’ils sont régulièrement exclus du champ médiatique traditionnel. Ils cherchent donc à mobiliser au sein de la oumma en utilisant les technologies modernes de communication, téléphonie, Internet et TV privées par satellite.

D’une manière générale, le monde est simplement divisé entre le groupe des croyants et celui des infidèles dans un esprit de prédication transnationale. Certes, des divergences dogmatiques sont présentes entre ces groupes sur des points comme le Wali al-Amr, al-Walaa wal-Baraa et les formes données à l’accomplissement du djihad. Simplement le point commun entre ces trois courants reste axé sur l’appartenance à une méthode fixée uniquement par le Coran et la Sunna.

Au-delà de ses composantes, le salafisme demeure une doctrine religieuse importante du monde musulman actuel, qui est présenté trop souvent en occident comme une pensée rétrograde et obscurantiste ; alors que les faits montrent que ce courant n’a cessé d’être depuis plusieurs siècles un mouvement essentiellement réformiste et contestataire en opposition à l’islam des sociétés et cultures islamiques traditionnelles vécu comme un processus d’altération de la foi islamique qui doit reposer avant tout sur le tawhîd qui reste le message essentiel de l’Islam.

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